André Moulinou, Imini Bou Tazoult

André Moulinou, Imini Bou Tazoult

Mis à jour : dimanche 1 septembre 2013 15:25

Au XXe siècle, tout le pays autour de Ouarzazate profita de l'exploitation des mines de la région. Chacun sait que le premier directeur d'exploitation de la mine d'Imini Bou Tazoult, André Moulinou, en fut le principal artisan entre 1934 et début 1961. La région de Ouarzazate lui doit l'extraordinaire développement du bien être de ses habitants provenant de l'extraction du Manganèse, procurant ainsi une richesse qui a irrigué toute la région au sud du Tizi n'Tichka. On peut dire que c'est grâce à la mine d'Imini que Ouarzazate, qui n'était qu'un poste militaire à côté d'une kasbah, a pu devenir une ville.


Les débuts de la mine d'Imini

Le jeudi 4 Décembre 1924, G. Duny, prospecteur de la compagnie Mokta el Hadid logeant chez le marabout de la zaouïa d'Iflilt, détecte du manganèse à Imini. C'est très rapidement ensuite que la nouvelle va trouver des oreilles attentives. Le filon a été découvert au moment de la Sainte-Barbe qui est la Sainte Patronne des mineurs !. C'est pourquoi le premier village de la mine sera baptisé du nom de Sainte-Barbe. Une demande de bornage va parvenir à l'administration chérifienne dans le courant de l'année 1925. Il a lieu les 5 et 6 octobre 1925 et dans le Bulletin officiel n°689 du 5 janvier 1926 on lira : Réquisition n°584 M. - Propriété dite « Djnan Imini ». Requérant El Hadj Thami ben Mohamed el Mezouari el Glaoui, pacha de Marrakech. Le bornage a eu lieu le 6 octobre 1925. Le conservateur de la propriété foncière à Marrakech : Guilhaumaud.?Dès 1928, on considéra que la compagnie Mokta el Hadid avait le poids financier, la taille et l’expérience pour exploiter les gisements d’Imini, mais il fallait créer le BRPM d’urgence pour que l’État marocain puisse participer à la création d’une nouvelle société chérifienne, la SACEM.? Le secrétaire général Eirik Labonne du temps du Sultan Mohamed ben Youssef et du Résident général Théodore Steeg fut à l’origine du Dahir du 15 décembre 1928 créant le BRPM. Il fit nommer Léon Migaux à la tête de cet organisme, un major de l’École polytechnique, ingénieur des mines qui avait plusieurs expériences de terrain et notamment dans les gisements d’hydrocarbures. Avec le BRPM, l’Etat marocain disposait de la structure juridique, technique et financière qui lui permettait de s’associer à la Société Mokta el Hadid pour créer la SACEM, c’est ce qui fut fait quelques semaines plus tard en 1929. Georges Cantarel fut le géologue qui intervint au début de la création de la SACEM pour repérer plus précisément le gisement de manganèse d'Imini.

 

1937_Moulinou_cigarette
1937. André Moulinou (cigarette)


André Moulinou

La première page du livre d'or de la mine est du 22 juillet 1932. Jean Dubois est alors le directeur détaché de Marrakech par la société Mokta El Hadid. Il sera quelques années plus tard remplacé par André Moulinou.

A. Moulinou avait d'abord effectué des prospections dans le Souss et étudié le gisement de Taroudant car il se trouvait plus près d'un port que celui d'Imini. Cependant comme le gisement d'Imini était bien plus prometteur, ce dernier fut choisi malgré les énormes difficultés de transport.

L'actionnaire principal de la Société était le Glaoui, Pacha de Marrakech ; ses parts venaient de la propriété du sol qu'il avait converti en actions de la SACEM. La compagnie de Mokta el Hadid ayant des projets d'extraction du manganèse et autres minerais dans plusieurs pays d'Afrique, A. Moulinou, sut convaincre la compagnie que les mines de l'Imini étaient rentables en dépit des difficultés et des coûts de transport jusqu'à Casablanca, tout en permettant une belle qualité de vie pour les mineurs et leurs familles. Si A. Moulinou n'avait pas convaincu, l'essor des mines de l'Imini n'aurait pas eu lieu et Ouarzazate serait resté un village.

En 1934 André Moulinou, ingénieur de l’école des mines d’Ales, est nommé comme directeur à Imini par la compagnie de Mokta el Hadid pour le compte de la SACEM. Son objectif était de mettre en route, si possible, l’exploitation du filon de manganèse qui n’était pas commencée.

Ils étaient alors deux sur le site : lui et un « chef mineur ». Il arrivait avec sa jeune épouse venant tout droit de son Aveyron verdoyante, familiale et sécurisante, et avec leur tout jeune premier enfant : Marie Françoise. Il faisait ses tournées dans le bled, pour son travail, sur sa jument Aziza, repérant où le filon serait le plus exploitable.

 

Moulinou_chez_Balmigere_1938
1938. A. Moulinou à Ouarzazate,
reçu par le commandant Balmigère.


Il débutât alors petit à petit l’exploitation, en sous-sol d’abord puis à ciel ouvert.
Le transport du manganèse vers Marrakech était effectué par convois de camions puis par téléphérique pour traverser le Haut-Atlas. Les expéditions de manganèse atteindront 400.000 tonnes en 1961 lors de son départ.

Maison_Ste_Barbe_texte_1948
1948. Maisons de Sainte-Barbe et villa du directeur.


Il organisa également toutes les infrastructures nécessaires à la vie de tous les mineurs et habitants de la mine : ravitaillement,  cantine, infirmerie, école,  cinéma, mosquée, chapelle et les villages des mineurs (construits par Hadj Laoucine) ; la vie sortit ainsi du désert.

Pendant la durée de ses fonctions, A. Moulinou est apparu non seulement comme un directeur efficace mais comme un gestionnaire "bon père de famille".  Ce qui a le plus marqué c'est d'une part son action sociale envers la population et d'autre part son souci de permettre la croissance des villages en les construisant dans le respect des coutumes et des traditions berbères locales. Chaque année après le Ramadan, deux ou trois membres du personnel des mines de l'Imini partaient à La Mecque en pèlerinage; le voyage était pris en charge par la SACEM. C'est ainsi que plusieurs ouvriers, parmi les plus méritants du personnel de la mine, devinrent Hadj et Hadja.

 

Tiouine_Mine
André Moulinou en visite à la mine de Tiouine
en compagnie du commandant Balmigère (archives Balmigère).



En 1948, les différentes machines installées dans les ateliers de traitement de Bou Tazoult, furent pour la plupart récupérées auprès de la marine française. Le choix des moteurs et du matériel récupérés sur les bateaux fut un choix délibéré d'A. Moulinou, en raison de la fiabilité des moteurs et des hommes qui avaient une solide expérience de leur entretien.

André Moulinou quitta les mines de l'Imini début 1961 pour prendre la direction des mines de Mokta El Hadid à Beni Saaf en Algérie. Après son départ, un remaniement total de l'organisation du travail fut imposé par les conditions économiques des marchés.

 

Sainte_Barbe_1955
1955. Discours d'André Moulinou pour la fête de la Sainte Barbe.


En 1976, M. et Mme Moulinou eurent le plaisir de pouvoir revenir comme invités, à l'initiative du directeur marocain M. Kittani et du père Norbert pour qui A. Moulinou avait fait construire le dispensaire à Agouim.


Le « Kafayeur ». Dans les années de 1940 à 1950 et plus particulièrement à partir de 1946 les mines de l’Imini, en plein développement, eurent besoin d’embaucher de nouveaux ouvriers. A. Moulinou confia alors à Abdellah Bahtiti une mission de recrutement. Un camion fut mis à sa disposition; il pouvait aller recruter où bon lui semblait. Ainsi, il a fait embaucher tous les hommes de son village natal en les amenant du fin fond du Souss, ainsi que les hommes de Tidili et des autres villages proches d’Imini. C’est de là que lui vient le surnom « kafayeur » qui est une berbérisation du mot convoyeur, car son rôle était également de convoyer les ouvriers avec le camion jusqu’à la mine qui, à l'époque, n'était pas facile d'accès.

Dès les débuts, comme la mine fermait tout le mois d’août, des camions et des cars ramenaient gratuitement fin juillet tous les mineurs qui le souhaitaient dans leurs villages d’origine et fin août les camions allaient les chercher pour les transporter jusqu’à la mine. Mais beaucoup voyageaient aussi à pied ou en auto stop. Les chauffeurs de camions de transports se faisaient ainsi un peu d'argent de poche. On pouvait mettre trois jours pour aller de Taroudant à Bou Tazoult en passant par Marrakech.


Les séances de cinéma. Les anciens Européens, militaires et civils, de Ouarzazate se sont souvenus pendant longtemps des séances de cinéma du week-end à Bou Tazoult. Les occasions de s'y rendre en famille étaient bien organisées.

Avant la construction de la salle de spectacle, M. Tournier, arrivé avant 1949, qui avec sa femme fut le premier à gérer la cantine, faisait déjà des projections de films avec son propre appareil. C’était aussi à la cantine que se fêtait au début la Sainte-Barbe. Parfois la séance de cinéma n’avait pas lieu car le chef de convoi de transport du minerai avait oublié d’apporter la bobine de film depuis Marrakech.

La salle des fêtes avec son écran de cinéma et sa cabine de projection fut construite vers 1953. M. Petit, électricien de métier, devenait projectionniste le samedi soir et le dimanche après-midi. Avant son départ de la SACEM en 1960, il forma Si Roudani Faïq, menuisier à la mine, à cette activité.

 

Yvon_Tessier_et_El_Ghasi
1951. Yvon Tessier et El Ghasi au dispensaire.


L'infirmerie de la mine. En 1948, Yvon Tessier, infirmier, fut embauché par A. Moulinou à Imini pour organiser et faire fonctionner une infirmerie. Il n’y avait alors qu’une pièce servant de salle de soins avec pour soignant Laghaoui Mohamed El Ghazi. Très souvent débordé par ses charges, les maladies, et sans médicament, El Ghazi avait comme seul matériel, une lampe à alcool, une bouilloire, une seringue, quelques aiguilles, quelques comprimés de Trisulfamide et quelques ampoules d'Eucalyptine. L'absence d'hygiène et de moyens nuisait terriblement aux soins apportés. Le manque de stérilisation provoquait des abcès quand El Ghazi faisait des piqûres. ?Après pas mal de péripéties, Yvon Tessier obtint d'A. Moulinou le feu vert pour avoir médicaments et le matériel nécessaire à la bonne marche d'un service médical dont un stérilisateur. Puis fut mis en œuvre une vraie Infirmerie comprenant salle de soins, salle de visite, laboratoire, pharmacie et radiographie. Cette nouvelle infirmerie fut un miracle, car en période de froid, les pneumonies étaient fréquentes; les mineurs sortant de la mine en sueur, mouraient en quelques jours. Les amputations, de doigts, d'orteils, étaient assez nombreuses et exigeaient des pratiques particulières. Par ces nouveaux moyens et traitements dispensés par antibiotiques, les maladies furent stoppées et guéries, et les malades n'eurent plus peur des piqûres. Jusqu'à l'arrivée à la mine en 1951 du docteur Mandrika, premier médecin permanent, des médecins militaires de Ouarzazate venaient, en cas de circonstances graves, prodiguer leurs soins. Après le départ du docteur Mandrika en 1952, le docteur Gorce prit la relève.
Sources : le site des Iminiens et le blog : http://timkkit2008.canalblog.com
Photos, archives Moulinou.

Merci à Martine Moulinou pour la relecture du texte.

J._M._DecaillozPour plus de renseignements sur la mine de Bou Tazoult et sur son exploitation, voir le blog http://timkkit2008.canalblog.com/, dans lequel Mr Jean-Marie Décailloz, un ancien qui y a travaillé pendant 40 ans, fait un exposé très complet et bien illustré sur le sujet. J.M. Décailloz est certainement celui qui a la meilleure connaissance de l'évolution des techniques d'exploitation qu'à connu la mine de manganèse de l'Imini. Beaucoup de photos proviennent des archives personnelles d'anciens de la mine.

On y retrouve également des extraits du livre d'or de la mine ouvert le 22 juillet 1932, avec dans ses débuts, André Moulinou organisant des tournées de prospection à cheval, aux alentours pour prendre des contacts.

 

Copyright

© 2008-2017 by Jacques Gandini. Tous droits réservés.

Si vous désirez reproduire nos textes ou nos photos, ayez l’amabilité de bien vouloir nous en demander l’autorisation. Dans tous les cas vous aurez obligation d’en indiquer l’origine.

Conception, réalisation, maintenance : Serre Éditeur, 23 rue de Roquebillière - F06359 Nice Cedex 4 (France)

Remerciements

Merci à Madame Balmigère, à Madame Decordier, à Monsieur Lafite, à Madame Kerhuel et à Pierre Katrakazos pour avoir accepté de mettre leurs archives familiales à disposition. Sauf indication contraire, les documents reproduits font partie des archives de l’auteur.