Textes anciens

1883. De Foucauld. De Sidi Rahal à Tazenakht

Mis à jour : dimanche 21 juillet 2013 11:11
Extraits de ses notes décrivant les étapes du franchissement du Grand Atlas

Charles de Foucauld donne d'autres renseignements; ils ne figurent pas ici pour éviter les longueurs. Quelques observations montrant la situation du pays à l'époque n'ont pas été reproduites, leur absence est signalée par les parenthèses (...).
8 octobre 1883 : Sidi Rahal. (…) environ 1000 habitants; au milieu s’élèvent une belle qoubba, où reposent les restes de Sidi Rahal, et une zaouïa, où vivent les marabouts, ses descendants; ces derniers sont fort vénérés dans le pays.(…) En dehors de l’enceinte musulmane, formant un faubourg isolé, se trouve un petit mellah. Jardins peu étendus.
9 octobre : Oued Rdat. Quoique Blad el Makhzen, le pays n’est pas assez sûr pour marcher sans zetat, mais un seul homme suffit. Je trouve sans peine quelqu’un pour m’escorter. Départ à midi et demi. Un cours d’eau sort ici même du Grand Atlas. C’est l’oued Rdat (Ghdat). Il prend sa source au sommet de la chaîne, à la dépression considérable appelée Tizi n’Glaoui, et en descend dans une direction perpendiculaire aux crêtes; cette rivière trace ainsi une route courte et facile pour franchir la chaîne. Je m’y engage, jusqu’au Tizi, je resterai dans le bassin de l’oued, et pendant la plus grande partie du trajet j’en suivrai le cours. (…) Aujourd’hui je fais une étape très courte : je m’arrête à Enzel, village de 600 habitants, où je passerai la nuit; il n’est que 3 heures lorsque j’y arrive.
10 octobre : D’Enzel à Tagmout, je suis la vallée de l’oued Rdat. Parti à 5 heures du matin, j’arrive à 11. Chemin faisant, je passe auprès des ruines d’un pont attribué par les uns aux chrétiens, par les autres à es Soultan Akheul : on cite toujours ces deux noms au Maroc dès qu’il s’agit d’ouvrages dont on ne connaît pas les auteurs (…) Plusieurs gros villages jalonnent la route : les deux principaux sont Ifsfes (600 habitants) et Zerakten (800 habitants). (…) Beaucoup de gibier; quantité d’énormes de perdreaux : tout le long de la route, j’en vois courir à mes pieds; ils se lèvent rarement; on ne les chasse pas : quand les habitants veulent en manger, ils en tuent à coup de pierres.
11, 12, 13 octobre : Séjour à Tagmout. Le village a 800 ou 900 habitants. Situé sur le bord de l’oued Adrar n’Iri, il est fractionné en plusieurs groupes qui s’espacent sur les premières pentes du flanc gauche de la vallée, au milieu des cultures et des jardins (…) Tagmout compte parmi les Aït Roba : cette fraction se compose de tout ce qui habite sur le cours de l’oued Adrar n’Iri.
14 octobre : Passage du Tizi n’Telouet. Départ à 6 heures du matin. Un zetat m’escorte. La route d’aujourd’hui peut se diviser en quatre portions.
1° De Tagmout à Titouha Tahtia : chemin extrêmement difficile; montée très raide à travers les pierres; région déserte; sol rocheux, tantôt nu, tantôt boisé.
2° De Titouha Tahtia à Titouha Fouqia : on retrouve le cours de l’oued Adrar n’Iri, (…) on le suit : les premières pentes et le fond de la vallée sont couverts de villages et de cultures; orges et maïs, ombragés de noisetiers, de trembles, surtout de noyers; ce fond de vallée a peu de largeur (…) chemin facile.
3° De Titouha Fouqia au col de Tizi n’Telouet, où je franchis la crête supérieure du Grand Atlas. (…) Il est atteint à 4 heures du soir. (…)
4° J’entre ici dans la quatrième portion de mon trajet d’aujourd’hui : du Tizi n’Telouet à Aït Baddou.
On commence par une descente raide : c’est un passage dangereux, comme l’indique son nom, Taourirt n’Imakkeren, “colline des brigands”; puis on débouche dans la plaine du Telouet; sol plat, bonne terre couverte de cultures. Je m’arrête à 6 heures et demie, près de son extrémité sud, au petit village d’Aït Baddou.


L'Oued Iounil (Ounila)

15 octobre : Suivre l’oued Iounil. Départ 7 heures du matin. Je rentre en Blad es Siba (…) En quittant Aït Baddou, on achève de traverser la plaine de Telouet. Puis on entre dans la région la plus désolée qu’on puisse voir : tout est roche (… ) Je ne quitte plus l’oued Iounil (Waounila) jusqu’au gîte : un moment je monte sur le sommet du flanc gauche; un vaste plateau rocheux s’y offre à mes yeux : il s’étend à perte de vue; le thym est la seule plante qui y pousse; les gazelles sont les seuls êtres animés qui y vivent. À 3 heures je m’arrête à Tizgi (Tizgui n’Barda), principal village du district de ce nom.
16 -17 octobre : Séjour à Tizgi (Tizgui n’Barda). J’ai été frappé, à mon entrée dans la vallée de l’oued Iounil (Waounila), d’un des caractères qui distinguent le bassin du Drâa : l’élégance des constructions; j’en remarque ici un autre, plus important : il se rapporte à la race qui occupe le pays. Jusqu’à présent, je n’avais vu que des Imaziren blancs, ceux qu’on appelle Chellaha; désormais, une bonne partie de la population se composera d’Imaziren noirs ou bruns, Haratin. Dans tout le bassin du Drâa, je les trouverai mêlés aux Chellaha, dans une proportion d’autant plus grande que j’avancerai d’avantage vers le Sud : dans la vallée même de ce fleuve, ils sont si nombreux que le nom de Draoui y est synonyme de celui de Hartâni; sur ses affluents, ils existent aussi en grande quantité. C’est dans ce bassin qu’ils semblent s’être concentrés; il n’y en a point dans celui du Sous, très peu dans celui du Ziz. (…) Malgré cette égalité politique, malgré cette communauté d’origine reconnue, les Chellaha se regardent comme supérieurs aux Haratin, et ceux-ci ont le sentiment de l’infériorité. Ils cherchent à se relever en épousant des femmes de couleur claire. “Parle-t-on mariage ? dit un proverbe, l’Arabe demande : Est-elle de bonne maison ? le Chleuh, est-elle riche ? le Hartâni, est-elle blanche ?”.

Tikkirt

18 octobre : Vers Tikkirt. Départ à dix heures et demie. De Tizgi à Tikkirt, on ne cesse de suivre le cours de l’oued Iounil (Waounila); une bonne partie du chemin c’est dans son lit même que l’on marche : ce dernier a ici 15 à 20 mètres de large. La rivière y coule, tantôt en une seule masse de 5 mètres de large et de 30 centimètres de profondeur, tantôt y formant plusieurs bras, tantôt l’inondant presque en entier et étant alors très peu profonde. Depuis sa source jusqu’à son confluent avec l’oued Imini, elle a, quelque soit sa force, cette même manière irrégulière de couler. D’ici à Tikkirt, sa vallée peut se diviser en deux portions, l’une jusqu’à son confluent avec l’assif Marren (Marghene), l’autre au delà. Dans la première, le fond reste ce qu’il était au-dessus de Tizgi, large de 50 à 60 mètres, couvert de cultures, ombragé de beaucoup d’arbres. Les deux flancs sont toujours de grès rouge et très hauts : cependant ce ne sont plus des murailles perpendiculaires, si ce n’est à leur partie supérieure où se voient des cavernes (...).
À une heure et demie j’atteins Tamdakht, village en face duquel l’assif Marren (Marghene) se jette dans l’oued Iounil. La vallée change d’aspect : le fond s’agrandit et prend une largeur de 300 mètres; il est couvert de cultures; les cultures qu’on voit ici à Tikkirt n’ont aucune ressemblance avec celles d’auparavant. Jusqu’à présent, une foule d’arbres ombrageaient les champs; désormais on n’en verra plus, excepté aux abords des villages; encore y sont-ils peu nombreux et parfois manquent-ils. La rivière coule dans un lit de 40 mètres de large, moitié vase, moitié galets, dont l’eau n’occupe qu’une faible partie. Les flancs, tout en restant rocheux, s’abaissent peu à peu, le droit surtout; il diminue graduellement, et disparaît à quelque distance de Tikkirt. Le flanc gauche conserve une hauteur minima de 150 mètres au-dessus du niveau de la vallée, mais ses pentes deviennent de plus en plus douces; sa couleur change : il n’a plus le rose ou le rouge du grès, mais une teinte blanche qu’il gardera jusque auprès de Tikkirt; là, variant de nouveau, il deviendra noir et luisant : à partir d’ici plus de cavernes.
La traversée de l'oued Imini. En face de Tikkirt, s’étend une plaine triangulaire au confluent des oueds Iounil et Imini; très plate, à sol de vase desséchée, elle se cultive en automne et est inondée en hiver. À l’extrémité de la plaine, un étroit kheneg, se creusant entre les roches noires des montagnes, donne passage à la rivière. Un peu plus haut, un spectacle nouveau réjouit mes yeux : un bois de palmiers entoure le village de Tazentout; c’est le premier que je voie : on approche du Sahara. À 5 heures, je parviens à Tikkirt, où je m’arrête. Peu de voyageurs sur le chemin, quoique le pays soit très habité. L’oued Imini, que j’ai traversé avant d’arriver, a 9 mètres de large et 30 centimètres de profondeur; peu de courant; il coule au milieu d’un lit de gros galets, large d’environ 700 mètres. Cette rivière est moins considérable comme volume d’eau que l’oued Iounil, qui, deux heures plus haut, avait, avec un courant très rapide, la même profondeur que lui et une largeur de 10 mètres.
25 octobre : Vers Tazenakht. Départ de Tikkirt à 9 heures du matin. Je m’engage aussitôt dans un vaste désert qui s’étend, moucheté de loin en loin de petites oasis entre les trois oueds Idermi, Aït Tigdi Ouchchen et Tazenakht.

La communauté juive de Tazenakht

Extrait de : Reconnaissance au Maroc 1883-1884


Un croquis du Vicomte a été dessiné depuis le mellah de Tazenakht qui était relativement important en 1878 avant les quatre années de sécheresse.
À trois heures et demie du soir, j’arrive au gros village de Tazenakht. Peu de voyageurs sur mon chemin. Je n’ai rencontré de la journée que trois petites caravanes. Le chef de l’une d’elles entra en longs pourparlers avec les gens de mon escorte : il désirait me piller, leur proposait de faire la chose de concert et leur offrait la moitié du butin. Ne leur était-ce pas plus avantageux que de continuer, sot métier, à faire cortège à un juif ? Mes hommes, qui avaient des préjugés, repoussèrent sa demande. Aucun terme ne lui parut trop fort pour exprimer combien il les trouvait ridicules. Une autrefois il fut réellement agressé et faillit perdre la vie, malgré la debiha.
“L’aspect de Tazenakht est triste; on ne voit que maisons à demi démolies, pans de murs croulants; les ruines occupent au moins les deux tiers de la surface. C’est l’œuvre de la famine; quatre années de sécheresse ont produit ce résultat; il y a quatre ans, vivaient ici 300 familles, moitié de musulmans, moitié d’israélites; un grand commerce y apportait la richesse. Le khemis, marché célèbre dans le Sahara entier, était le rendez-vous de toutes les tribus voisines : on y venait en foule du Sous, du Drâa, du Telouet même et des Ida ou Blal. Depuis quatre ans, point d’eau, point de récoltes : les ressources se sont épuisées, les provisions ont manqué, il a fallu émigrer; plus de la moitié des habitants a déserté; aujourd’hui la population est réduite à 80 familles musulmanes et 55 juives. La décadence s’est mise en tout : le commerce est devenu à peu près nul; le marché, si animé jadis, est désert. C’est la disette de grains dans les tribus voisines, surtout chez les Zenaga, qui a semé ce désastre…”
D’après les chiffres indiqués par le Vicomte on constate que les juifs étaient à peine moins nombreux que les musulmans et que le mellah était proche de la demeure du Cheikh ez Zanifi.
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"Tazenakht est un gros village construit dans un site triste; au nord s’étendent à perte de vue les solitudes pierreuses que traverse le chemin de Tikkirt; à l’est et au sud un massif escarpé de roches noire et luisante auquel la bourgade est adossée, ferme l’horizon; c’est vers l’ouest que le paysage est le moins désolé; de ce côté on aperçoit une portion de la plaine des Zenaga et au delà, se dressant sur un piédestal de montagnes grises, la haute cime blanche du Jebel Siroua. Au pied de Tazenakht est le lit de la rivière du même nom, presque toujours à sec. Le village est bâti en long sur la rive droite de la rivière. Les habitations, en pisé, sont la plupart délabrées; vers le centre s’élève la demeure des chikhs, demeure vaste mais simple, ne rappelant en rien les constructions élégantes de l’oued Iounil (1) et d’Irels; celle-ci ont disparu par degrés à mesure que nous nous sommes éloignés du Drâa.
Les ruines occupent au moins deux tiers de la surface. C’est l’oeuvre de la famine; quatre années de sécheresse ont produit ce résultat; un grand commerce y apportait la richesse : le Khemis, marché célèbre dans le Sahara entier, était le rendez-vous de toutes les tribus voisines.

La situation centrale de ce marché entre le Sous, le Drâa et le Telouet lui a donné une grande importance; chaque jeudi le Sous y apporte ses huiles, le Drâa ses dattes, les Glaoua des grains, là se fait l’échange des divers produits : les dattes sont portées vers l’Ouest et le Nord; huiles et grains prennent la direction du Sud et de l’Est.
Les habitants de Tazenakht ont des relations suivies avec Maroc (2) : leurs caravanes s’y rendent avec des peaux, des noix et des dattes et reviennent chargées de cotonnades, de sucre, de thé, d’allumettes, et.; on emmagasine ces marchandises et on les expose le jour du marché.
Une industrie, la fabrication des khenif, fleurit dans la bourgade. Celle-ci est la patrie du khenif dont le tissage et la broderie occupent presque toute la population. Malgré ces objets de trafic, tazenakht voit décliner son commerce : les tribus voisines y viennent encore s’approvisionner des produits d’Europe; les Zenaga y apportent toujours leurs laines et leurs grains; mais les caravanes du Sous, du Mezguita, des Glaoua, nombreuses autrefois, sont aujourd’hui rares et peu importantes; des oasis du Sud on ne vient plus.
L’alimentation se ressent de cette pénurie; jusqu’à présent les pauvres se nourrissaient de farine d’orge, mais tout ce qui était aisé mangeait du blé; à partir d’ici, on ne voit plus de blé; excepté les cheikhs, personne ne connaît que l’orge; c’est l’orge qui compose et le pain et le couscoussou de chaque jour et la zemmita soit en pâte, soit en bouillie, composée de blé ou d’orge grillé, puis moulu; elle se mange avec un peu d’eau."
(1) Ounila
(2) Marrakec

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