Tafilalet

La longue histoire de la pacification du Tafilalet

Mis à jour : lundi 2 février 2015 16:56
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Au sens strict du mot, le Tafilalet désigne la palmeraie qui entoure Rissani, mais cette appellation est couramment étendue à l’ensemble de la vallée commune des oueds Ziz et Rheris. Le Tafilalet, la “mer de palmiers”, comme l’appellent les habitants, affecte grossièrement la forme d’un triangle dont la base au Sud mesure environ 12 km et la hauteur 20 km. Il est traversé par l’oued Ziz et est bordé à l’Ouest par l’oued Rheris; oueds sahariens qui ne coulent qu’en période de très rares crues.
Jadis, c’est au sein d’une vaste palmeraie prospère comptant 200.000 habitants, que se situait sa capitale, Sijilmassa, grande université médiévale dont le rayonnement s’étendait du lointain Soudan à l’Espagne musulmane. L’histoire du Maghreb a retenu qu’au XIe siècle un ermite de Sijilmassa a, au nom d’un Islam plus pur, entraîné les seigneurs du désert, les Almoravides, à la conquête de l’Ifriqya et de l’Espagne califienne.
La palmeraie entre l’Atlas et le désert était alors un centre de vie extraordinaire où se rencontraient les marchands et les caravaniers venus de l’Atlantique et du Soudan, du Niger et de la Méditerranée et où le commerce des esclaves qu’ils ramenaient d’Afrique Noire était florissant.
A l’arrivée des troupes Makhzen, lors de la Première Guerre mondiale, les souks n’étaient qu’un pâle reflet de ce que furent les fondouks et les caravansérails de jadis. L’artisanat, dont la renommée avait franchi pendant des siècles les confins du Maghreb, n’étaient plus réduits qu’au tannage des peaux de chèvres, effectué à l’aide de l’écorce de tamaris. Le cuir ainsi obtenu, appelé “filali”, du nom des habitants, était finement travaillé et transformé en objets divers qui constituèrent au XIXe siècle et au début du XXe, une des principales exportations marocaines.

Tafilalet.Palmeraie_de_MeskiLa troupe dans la palmeraie de Meski

1916, la bataille de Meski et la création du poste de Ksar-es-Souk
Appelé par les Aït Izdeg pour arbitrer un conflit d’eau, au printemps de 1915, le lieutenant-colonel Bertrand forme une colonne “légère” de 750 hommes; il part de Bou Denib, le 15 mai, arrive au coude du Ziz, le 18, et, le lendemain, pousse une pointe vers Ksar-es-Souk; il remonte ensuite le Ziz, puis atteint la plaine au pied Nord du Tizi n’Talghemt avec la cavalerie et la légion montée. Les troupes sont de retour à Gourrama, le 26, sans avoir eu le moindre incident. Cela permet d’envisager l’extension de l’influence du Makhzen du côté du Tafilalet.
Malgré sa défaite de septembre 1914, au Nord-Est de Gourrama, en mars 1916, l’agitateur Moulay Ahmed ou Lahcene-Sbaï reprend ses menées contre le Makhzen. Le 10 mars, un convoi est fusillé à bout portant dans les gorges de Kadoussa, par un djich d’au moins 200 fusils. En un instant, les forces makhzen ont 75 tués, dont les sous-lieutenants Chacun, Salah ben Hassine, et 7 blessés, soit plus de 40 % de l’effectif.
Au mois de mai, le groupe mobile de Bou Denib doit opérer contre une harka d’environ 2000 hommes, qui est concentrée au voisinage du coude du Ziz; il la culbute, le 30, au Foum Zabel. Après une poursuite jusqu’à Ksar-es-Souk, les troupes rallient leur base par Ghamet-Allah. Une fois l’ennemi battu, le lieutenant-colonel Doury fonde le poste de Rich, en juin 1916. Mais la harka se reforme à Meski; sa présence en cet endroit crée une vive effervescence dans la région.
Au début de juillet 1916, la menace devient sérieuse; les guerriers réunis à Meski semblent être au nombre de six à huit mille. Doury quitte Bou Denib, le 5; la chaleur de l’été impose de rudes fatigues aux soldats dont il faut assurer l’approvisionnement en eau sans faillir. Le 7, il campe à Ghamet-Allah à quelques kilomètres seulement de la harka. Enfin, le 9, la colonne simule une marche de repli; puis, à la suite d’une brusque volte-face, elle se porte à l’attaque dans les premières heures du jour. L’ennemi, qui a construit des tranchées sur la rive gauche de l’oued, résiste avec acharnement; il se lance même à la charge. Néanmoins l’infanterie makhzen progresse; appuyée par l’artillerie, elle enlève les retranchements et chasse les défenseurs au-delà de l’oued. A 11 heures, Doury est maître du terrain. Les tirailleurs incendient le ksar et le génie détruit le barrage d’irrigation. Pendant ce temps, le détachement laissé à la garde du bivouac repousse un groupe d’assaillants. Les pertes des dissidents sont énormes; celles du Makhzen s’élèvent seulement à 3 tués, dont le capitaine Bertin de la légion, et 36 blessés dont un officier. Les djemaâs du Madaghra et d’Aoufous viennent faire leur soumission à Ghamet-Allah. Pour exploiter la victoire de Meski, le commandant du territoire établit un poste à Ksar-es-Souk, le 7 octobre 1916.
Meski_et_vallee_du_Ziz
A la suite de l’occupation de Ksar-es-Souk, l’agitation reprend dans le Bas-Ziz; plusieurs milliers d’hommes finissent par se rassembler à El Boroudj, au Sud du Rteb. Le Lt-col. Doury ramène alors le groupe mobile de Bou Denib à Ksar-es-Souk, au début de novembre 1916; il traverse le Rteb, dont les populations sont restées fidèles au Makhzen et, le 10, chasse les dissidents à coups de canon des environs d’Aoufous. Comme la harka s’est retranchée à El Maadid (31°28,07’N - 04°12,97’W), dans le Tizimi, la colonne l’attaque en ce point le 16; les guerriers marocains résistent avec acharnement sur la lisière de la palmeraie, que l’infanterie doit enlever d’assaut. Les tirailleurs et le groupe spécial s’emparent du ksar, après sept heures d’un combat très dur.
Durant ce temps, les Tirailleurs sénégalais luttent pied à pied au jebel Erfoud, d’où ils délogent un parti ennemi fortement retranché. Le lieutenant Grandjean, du groupe spécial, et le sous-lieutenant Rostans, des tirailleurs, se trouvent parmi les morts. La harka est complètement dispersée et le Tizimi se soumet au Makhzen; les troupes regagnent Bou Denib le 25 novembre 1916.


Ksar_es_Souk_Lgion
A noter dans ce convoi de Légion, une pièce d'artillerie chargée sur un camion.

L’attaque d’Aoufous
En 1928, basée à Erfoud, la compagnie saharienne du Ziz, chargée de la sécurité aux limites Nord du Tafilalet, avait détaché à Aoufous (31°40,96’N - 04°10,82’W) une section de 40 fantassins et un peloton de 20 cavaliers, autour desquels gravitaient deux fezzas de partisans d’une cinquantaine de fusils chacune. Le poste était commandé par le lieutenant Guillaume de Tournemire dont la puissante personnalité en faisait un émule d’Henry de Bournazel.
Le 20 octobre, alors que le lieutenant de Launay, chef du bureau des A.I. de Ksar-es-Souk, venait lui rendre visite, Tournemire fut prévenu qu’un important djich Aït Hammou venait de s’installer sur la falaise qui fait face à celle d’Aoufous, de l’autre côté de la vallée du Ziz et que le chef du djich l’invitait à venir se mesurer avec ses hommes.
Tournemire et de Launay rassemblent leurs gens, non sans avoir alerté une fezza voisine, qui devra couper la retraite de l’adversaire, tandis que les éléments du poste d’Aoufous le délogeront de sa position. Après une approche rendue difficile par la nature tourmentée du terrain, dont la falaise escarpée qu’il fallait escalader sous le feu ennemi, le contact est pris.
Dès le début, les Aït Hammou, excellents tireurs, spécialistes de l’embuscade, soumettent les sahariens et les mokhaznis à un tir nourri mais sous l’ardeur des attaquants ils sont rapidement dans l’obligation de décrocher, laissant les corps des tués et de nombreux blessés sur le terrain, ce qui n’est pas dans leurs habitudes.
La poursuite s’engage alors qu’une fusillade fait penser que c’est la fezza qui coupe la retraite du djich. Hélas, pour accourir plus vite sur les lieux du combat, les partisans, oubliant toutes règles de prudence, se sont laissés surprendre dans un ravin où ils subiront quelques pertes avant que les Aït Hammou quittent définitivement la zone.
Cette affaire d’Aoufous fit grand bruit en dissidence et porta un sérieux coup au prestige des Aït Hammou. Le “combat d’Aoufous” fit également grand bruit à tous les échelons du commandement. Tournemire se fit infliger un blâme pour avoir engagé l’affaire à la légère sans en avoir référé à Erfoud. La petite histoire raconte que le Maréchal Franchet d’Esperey en tournée d’inspection, ayant eu vent de la chose, tint à se faire présenter ce lieutenant bien impétueux qu’il félicita chaudement, ajoutant qu’à son âge, il n’aurait pas agi autrement... Il ne fut plus question de blâme...
Convoi_Erfoud

1931, retour des forces Makhzen et soumission définitive du Tafilalet

En 1930, le Tafilalet était encore l’une des dernières taches non encore soumises du Makhzen qui y faisait figure de vaincu, après la désastreuse retraite de Tighemart, en octobre 1918; peut-être l’une des rares erreurs tactiques de Lyautey.
Durant une douzaine d’années le Tafilalet allait servir de refuge aux dissidents et de base de départ des djouch allant piller les tribus ralliées de tout le Sud de l’Atlas et même de l’Algérie. Lorsque, le 1er mars 1930, le général Giraud prend le commandement de la région des Confins algéro-marocains, les directives gouvernementales sont d’abord d’isoler le Tafilalet, le souvenir de l’échec sanglant de Tighemart n’est pas oublié.
En attendant le moment d’intervenir au cœur des oasis, des reconnaissances sont faites à l’Est et au Sud-Est. En février 1930, les postes des Oulad Zohra et de Ba Haddi sont construits et leurs canons, pointés sur le cœur de la grande palmeraie, leur permettent d’assurer la surveillance Nord de celle-ci.
Au début de 1931, Giraud resserre l’emprise autour du Tafilalet. En février, le général, à la tête d’une colonne Makhzen, dépasse vers le Sud les palmeraies et descend la rive gauche du Ziz jusqu’à Taouz à 60 km dans le Sud-Est. Il l’occupe sans coup férir le 28 février; les habitants se soumettent tandis que le service des Affaires Indigènes entame une forte action politique sur les Aït Khebbache.
Cependant, la conquête du Tafilalet ne peut se faire sans réduire au préalable le bloc des Aït Yafelmane qui occupent la vallée de l’oued Rheris et ses abords, entre le Haut-Atlas et le Tafilalet. Cette vallée abrite les palmeraies du Tadighoust, du Rheris, de Tilouine et de Touroug, dont le chapelet trahit la présence bien souvent souterraine, du fleuve saharien. Cette région une fois occupée, les Filaliens ne pourront espérer aucun secours des Aït Moghad, nouvellement ralliés au Makhzen.
L’offensive déclenchée le 18 novembre 1931, les résultats sont brillants dans tous les secteurs : au Nord, le lieutenant-colonel Burnol réussit à fixer les Aït Yafelmane de l’Amsed et occupe le ksar d’Agoudim. Sa présence en ce lieu garantit la sécurité de l’aile droite des troupes d’attaque; au Sud, Tarrit part de Guefifat et s’empare du jebel Agni et de Touroug, afin d’interdire aux dissidents de l’oued Ferkla toute intervention sur l’aile gauche du dispositif. Les dissidents accrochent le groupement Denis sur la crête qui domine Tadighoust, mais ils sont repoussés après l’entrée en ligne des réguliers; une deuxième réaction très violente de l’adversaire, au commencement de la nuit, est encore brisée.
De son côté, le groupement Lenoir arrive, vers 9 heures, à proximité du bordj de l’Arembo; durant la préparation d’artillerie, le colonel Lenoir reçoit une blessure grave due à l’éclatement prématuré d’un obus. La prise de Tifounassine, à la suite d’un vif combat, ouvre la palmeraie du Rheris à la colonne.
Le 19 novembre, les habitants de tous les ksour, depuis Touroug jusqu’au Tadighoust, sollicitent l’aman. Le 20, c’est au tour des Aït Moghad. Le 22, la palmeraie de Tilouine fait sa soumission. Ainsi, du Haut-Atlas au Tafilalet, tout le cours du Rheris est, en moins d’une semaine, pacifié : cette opération des forces Makhzen a un retentissement considérable dans tout le Sud; 6500 tentes ou familles, représentant 40.000 individus, se sont rendus. L’investissement du Tafilalet peut se dérouler, les ksour de la grande palmeraie ne recevront pas d’aide de l’extérieur.
Les observations aériennes révèlent que les palmiers, pour la plupart atteints du bayoud, sont clairsemés et ne portent que des palmes anémiques; la végétation arbustive, qui, dans les palmeraies, forme habituellement des taillis touffus, est pauvre et rabougrie. L’oasis n’est qu’insuffisamment irriguée par l’oued Ziz et souffre cruellement du manque d’eau. La progression de combat y sera donc facile, si elle n’était gênée par les murs en pisé qui entourent les misérables propriétés des ksouriens et par les séguias, la plupart du temps asséchées, mais souvent profondes, qui constituent de réels obstacles, murs et séguias permettant de faciliter la résistance ou les embuscades.
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A l’intérieur, les centres habités sont rares : vers le milieu de la palmeraie les ksour de Rissani, où réside le chérif Belkacem n’Gadi, de Dar El Beida et de Tighemart sont les plus importants. Le général Huré, commandant en chef des troupes, qui possède en mains le plan d’investiture de Giraud, doit quand même rendre des comptes au Résident général Lucien Saint à Rabat, qui lui-même doit transmettre au ministère à Paris.
En attendant la réponse, les troupes poursuivent activement l’organisation des pays soumis et la construction des pistes. Mais une telle attente ne va pas sans présenter de graves inconvénients : l’incertitude au sujet des décisions du Gouvernement, toujours à calculer le coût de telles interventions des colonnes, provoque dans les unités un certain malaise.
Cette stagnation par contre, exalte le moral des tribus dissidentes dont les émissaires proclament sur les souks que le gouvernement français ne permettra jamais à ses généraux de s’attaquer au Tafilalet et que tout ce qui a été fait dans le Rheris l’a été contre son gré. En fait, les incursions ennemies dans les lignes Makhzen se multiplient : le 15 décembre 1931, un gros djich Aït hammou ose s’attaquer à une colonne de police composée de deux Goums. Les dissidents sont mis en fuite par le capitaine Henry de Bournazel en laissant sur le terrain de nombreux cadavres et des armes; mais il n’en est pas moins symptomatique qu’un djich a osé s’attaquer à un détachement Makhzen de 300 fusils.
Enfin, le 31 décembre 1931, parvient à Rabat l’autorisation tant attendue. Le jour de l’attaque est fixé au 15 janvier pour profiter de la pleine lune et laisser aux troupes du Nord le temps de venir renforcer le Groupe mobile des Confins. Mais quel personnage est l’adversaire du Makhzen?
Belkacem N’Gadi est le chef, autant redouté pour sa cruauté que pas sa bravoure. Il est originaire des Angad, tribu de la région à l’Ouest d’Oujda. Il a, à sa disposition, des contingents divers, de Berbères et d’Arabes du Sud, transfuges et déserteurs. Il peut compter sur le concours des Aït Hammou, petite fraction dissidente des Aït Tseghrouchen, reconnue comme la tribu la plus guerrière encore en dissidence au Maroc. Ils sont peu nombreux mais ils comptent faire marcher contre les importants contingents de partisans du Makhzen la multitude des ksouriens, pauvres gens tyrannisés par le chérif et ses sbires; souvent anciens esclaves, pacifiques par nature, ils seront forcés, sous peine de mort, de combattre. Ils représentent un effectif de 15 à 20.000 hommes mal armés.

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Photo originale du même accident

Déroulement des derniers combats. Extrait du rapport officiel du général Giraud.
Dans la nuit du jour J-1, le groupement du lt-colonel Trinquet s’est porté de Merzouga à Megta Sfa, soit 30 km sans piste, sans incident. En même temps, les groupements des colonels Denis et Lahure couvraient l’étape, dépassant pour certaines unités 50 km, qui les amenait, au point du jour, entre Megta-Sfa et la Gara-n’Douar, avec l’occupation de Taguerrount. Toutes les pistes partant du Tafilalet vers l’Ouest et vers le Sud étaient ainsi barrées, l’investissement était complet.
A ce moment, à 7 heures, commençait la préparation. Elle a été effectuée par trois batteries de 75 et une section de 155, sans oublier l’aviation prenant à son compte les ksour de Seffalat, hors de portée des tirs d’artillerie. Minutieusement préparés d’après les indications des A.I., contrôlés par l’aviation, ces tirs ont obtenu pleinement le résultat recherché. Ils ont brisé les nerfs, sinon les muscles des partisans de Belkacem, épargnant les ksour depuis longtemps en relation pour un ralliement avec le Makhzen.
Quant à l’agitateur lui-même, ils l’ont forcé, dès 7h30, à abandonner Rissani et à aller se réfugier dans une tour de garde isolée sans pouvoir donner un ordre ni organiser la résistance. La seule attaque, faite à 7 heures, fut celle de Dar el Beida et de la crête rocheuse située à 2 km au Nord de ce ksar. Elle fut exécutée à toute allure par les tirailleurs algériens du Lt-colonel Cornet et ne coûta qu’un lieutenant tué et un tirailleur blessé. Ce devaient être les seules pertes des troupes régulières, ce jour-là. La réaction contre la position immédiatement organisée fut insignifiante et facilement brisée. A la même heure, la palmeraie des Aït khalifa était occupée sans résistance par un bataillon de Sénégalais.
A 11 heures commença l’attaque proprement dite, la pénétration à l’intérieur de la palmeraie, dans le dédale des jardins, des séguias, des foggaras, constituant les obstacles les plus imprévus et les plus dangereux... s’ils avaient été défendus. Or la défense ne se manifesta qu’au débouché de l’attaque du groupement Schmidt devant Tizi n’Taguin. Quelques dizaines d’hommes de Belkacem vinrent se heurter aux partisans du cercle d’Erfoud, appuyés par deux sections de chars, un goum et deux groupes francs. Ils furent balayés. Au pas de course, le Tizi n’Taguin, Zerba, le jebel étaient enlevés. A gauche, El Feïda ouvrait ses portes aux mokhaznis du lieutenant Penfentenyo.

Rissani
Aman_targuiba
Photo originale de la targuiba, cérémonie officielle de soumission,
avec dépôt des armes et sacrifice de plusieurs jeunes taureaux.

Plus loin, tous les ksour des Chorfas faisaient leur soumission au capitaine Henry de Bournazel, dont la réputation de guerrier invincible le suivait depuis le Rif. A 15 heures, l’encerclement de Rissani était complet. A 16 heures, l’attaque était donnée au ksar de Belkacem. Enlevé en un tour de main, le ksar était envahi par la foule des partisans du caïd Baba qui s’y livraient à un pillage en règle avant que le capitaine Thiabaud pût remettre de l’ordre dans la foule enfiévrée.

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Les femmes de Belkacem, parmi lesquelles se trouvait la fille du Zaïani, étaient mises à l’abri. Le ksar, débarrassé de ses envahisseurs, était occupé par une garnison. Les pertes étaient de quatre partisans tués et six blessés. La nuit tombait sans qu’on ait pu découvrir Belkacem N’Gadi. Il s’était, à partir de midi, réfugié près de la Zaouia Remel, sur la lisière du Tafilalet. Les rares tentatives de sorties faites par des groupes d’isolés avaient été prises sous le feu de l’artillerie du groupement Denis ou des A.M.C. (automitrailleuses de cavalerie) patrouillant le long de la palmeraie. Les bivouacs des troupes de barrage s’étalaient avec tous leurs feux de Rich Amelane au confluent du Ziz et de l’Arembo.
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C’est entre Rich Amelane et le Rich Taguerrount que Belkacem et ses derniers fidèles se glissèrent, vraisemblablement entre 20 heures et 21 heures, sans être repérés. A 23h30, l’avant-garde des fugitifs vient heurter le 8e Spahis, installé en deuxième ligne à Taguerrount, avec la compagnie motorisée du 1er Régiment Étranger : combat de nuit violent où tombe le frère de Belkacem, tandis que la masse des fugitifs s’échappe dans toutes les directions. Au jour, dès que les traces sont visibles, le colonel Lahure commence la poursuite. Il est rejoint par les trois goums et l’escadron de Légion du commandant Suffren.
Le 27e A.M.C., parti de la Gara Medouar, marche dans leur sillage, la compagnie montée de la Légion, aménageant la piste au fur et à mesure de sa progression, est le soir du 16 janvier, à 10 km de Msissi. Le 8e Spahis la couvre à droite et à gauche. Une escadrille assure l’accompagnement. Après un engagement de nuit où est entièrement razzié un campement de Reggaga, Msissi est enlevé le 17 à 18 heures. Le ksar ouvre ses portes après une résistance sérieuse de l’arrière-garde de Belkacem. Celui-ci y est passé quelques heures plus tôt. Il fuit vers Tazoulalt. Conformément aux ordres reçus, le colonel Lahure ne pousse pas la poursuite plus loin.”
Le chérif Belkacem, depuis qu’il avait dû quitter en fugitif le Tafilalet où il avait si longtemps régné en maître, ne cessa de combattre le Makhzen, reculant toujours mais ne s’avouant jamais vaincu. Il fallut la poursuite endiablée des troupes du général Trinquet pour le réduire à la soumission, dans l’Anti-Atlas, le 11 mars 1933. Du point de vue politique, il n’était pas indifférent au gouvernement de Paris que la France ramenât au Makhzen l’oasis sacrée où se dresse le mausolée de Moulay Ali Chérif, ancêtre de la dynastie alaouite régnante, sépulture vénérée, demeurée si longtemps en Bled es Siba.
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Les blindés en action

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Quelques détails sur la conquête de Tafilalet

La ligne du Haut Ziz, malgré les avancées de Mzizel, d’El Bordj et d’Aït Yakoub, de Tarda et de Gueffifat, où des postes furent créés en 1928 et 1929, fut constamment franchie par des bandes armées s’engageant en pays soumis, attaquant les convois, pillant les villages, razziant les troupeaux et assassinant les isolés. Dans cette insécurité permanente et l’impossibilité d’y parer par une action d’envergure, comme l’avait déjà préconisé Lyautey en 1907, la création d’une région militaire des Confins algéro-marocains fut décidée et confiée au colonel Giraud, qui professait à l’Ecole Supérieure de Guerre. Il s’agissait de rétablir la sécurité des marches algériennes du Guir et de réduire l’un des plus grands repaire de brigands qui fût jamais au service de la dissidence : la palmeraie du Tafilalet.
En face des troupes de Giraud se dressait la puissante confédération des Aït Atta du Sahara, et sur la rive droite du Ziz, celle des Aït Yafelman. Aucune de ces tribus n’avait de chef véritable; seul Belgacem n’Gadi, venu d’Oujda, s’était imposé au Tafilalet par la terreur. Enfin et surtout il devra s’opposer aux Aït Hammou, fraction des Aït Tseghrouchen, qui, jamais soumis, s’en sont allés d’exil en exil, après le meurtre à Talsint du lieutenant Despax en 1925.
De tels adversaires obligent à une réorganisation complète du Territoire. La circulation y est réglementée et contrôlée par chaque poste dans son secteur. Les convois automobiles, trois fois par mois, relient par la route du Ziz les capitales du Nord aux régions présahariennes, précédés et suivis d’une automitrailleuse blindée. Des partisans armés “font la sécurité” sur les pitons et surveillent les points dangereux. Tous les postes sont reliés par télégraphe optique ou par téléphone.
Dès lors, la poursuite des pillards a quelque chance de succès. Elle doit être systématique et persévérante. A leur grande joie, les commandants de goums et de Compagnies sahariennes, les officiers de spahis, de tirailleurs et de légionnaires reçoivent l’ordre de multiplier les sorties et les reconnaissances, de créer “une zone d’insécurité pour les djiouch”. Ils parcourent le bled en tout sens, combinent leurs poursuites, recoupent leurs itinéraires, surveillent les points d’eau, mais les différentes fractions dissidentes n’ont ont cure et continuent leurs actions. Giraud demande alors à nettoyer les vallées du Ziz et du Rhéris jusqu’à leur confluent car la politique des palabres est restée inopérante. A Rabat, le général Huré qui a succédé au général Vidalon au commandement supérieur des troupes, décide en janvier 1931 d’en finir avec le Bled es Siba.
En réalité, quand, un mois plus tard, s’opéra la concentration des troupes, il y avait bien longtemps qu’on y travaillait. En avant du poste d’Erfoud, on avait créé les postes d’Ouled Zohra et de Ba Hadi, qui pointaient leurs canons sur le cœur de la palmeraie. On avait décidé d’occuper, à l’Est du Tafilalet, le Rich el Haroun, et les puits de Taouz à 60 km au Sud-Est. Cette opération, qui comportait la traversée d’un immense plateau stérile, la Hamada du Guir, nécessita l’aménagement de rampes accessibles aux unités motorisées, et la mise en place, de loin en loin, de citernes d’eau potable, le seul point d’eau naturel étant à Megheimine. Sans aucune perte, une tenaille se resserra autour du Tafilalet.
Au mois d’octobre 1931, de nouveaux officiers arrivèrent dans les Confins; c’est ainsi qu’un soir, à Bou Denib, la grande tenue rouge de Bournazel mit de la joie et de l’élégance dans le Cercle. Cinq groupements furent constitués pour l’attaque, du Nord au Sud, qui devait se faire simultanément sur le Tadighoust et le Rhéris, évitant ainsi que les tribus dissidentes ne se prêtent assistance.
Le jour J, le 18 novembre, la campagne débute par un froid rigoureux et une pluie glacée.
Le 19, le Tadighoust tue le taureau de la Targuiba aux pieds du colonel Denis. Au Sud Bournazel, en avant-garde du groupement Tarrit, a occupé Touroug en pleine tempête de sable.
Le 20, la palmeraie du Rhéris se défend encore, mais devant l’arrivée des automitrailleuses, les Aït Moghrad demandent l’aman.
Le 22, la palmeraie de Tilouine fait sa soumission. Ainsi du Haut Atlas au Tafilalet, tout le cours du Rhéris est passé aux forces makhzen en moins d’une semaine; 6500 familles se sont rendues en deux jours, représentant 40000 individus.
Pendant les trois premières semaines de décembre, il se fit un énorme travail de poursuites et de reconnaissances, à l’honneur des unités supplétives et de la cavalerie. Il s’agissait de préparer la phase décisive de la campagne d’hiver et de protéger les nouveaux soumis. Bournazel intervient encore victorieusement dans le jebel Ougnat, à la poursuite du djich Aït Hammou qui avait tué le lieutenant de Chappedelaine dans une embuscade.
Au mois de janvier 1932 débute le déroulement du dernier acte. Conquérir 120 villages fortifiés, réduire une palmeraie de 20 kilomètres sur 15, où dunes et rochers font des abris naturels, s’attaquer à une population de 40000 à 45000 âmes, cela ne va pas être une partie de tout repos. Toutefois, les officiers de renseignements savent que la majorité des Filala sont lasses de la tyrannie de Belgacem. Le temps semble venu de régler les comptes avec les révoltés de 1919, qui ont valu à la France l’évacuation de l’oasis de Tighmart.
La tactique de départ est simple : investir de nuit la palmeraie sur tout son pourtour.
Le 14 janvier à minuit les groupements s’approchent au clair de lune de la grande tache sombre et mystérieuse des palmiers. Certaines unités ont effectué 50 km dans de mauvais terrains de sable mou. La colonne motorisée Trinquet a fait un bond rapide avec ses 100 voitures, tout phares éteints, et de Merzouga à Megta Sfa, barre toute issue vers le Maïder et l’immensité saharienne.
Le 15 janvier, à 7 heures du matin, débute le bombardement intensif de la palmeraie. Aux 155 des postes avancés se joignent 3 groupes de batteries de 75 de l’artillerie coloniale. Les villages hors de portée des canons sont “arrosés” par les avions de 5 escadrilles de bombardement. L’effet moral est d’autant plus efficace que les ksour qui ont demandé le protection du Makhzen sont épargnés, alors que Rissani, résidence de Belgacem, est réduit en poussière. Abandonnant ses femmes et ses biens, celui-ci s’enfuit de village en village, laissant son neveu Ahmed Zerba organiser la résistance.
A 11 heures, partisans et goumiers se ruent à l’assaut. Le groupement Schmidt-Thiabaud pénètre difficilement dans les districts de Sifa et des Beni Mhamed; la séguia Sifia constitue une tranchée remarquable où l’ennemi s’accroche. Au ksar des Zerban, où se trouve le neveu de Belgacem, la lutte est chaude et les pertes importantes parmi les partisans trop téméraires; il faut l’acharnement de toutes les sections et l’habile et courageuse manœuvre de débordement du lieutenant Benedittini pour en finir.
A 16 heures, le capitaine Thiabaud et ses supplétifs pénètrent dans Rissani à la faveur des brèches faites par les obus; ils y trouvent quelques familiers du maître, ses femmes en pleurs et un cheval oublié et affolé qui parcourt les ruines au galop. Les goumiers commencent alors une razzia impossible à limiter.

Rissani_Trous_obus_dans_Kasbah_Abd_el_MalekRissani. Trous d'obus dans la kasbah d'Abd el Malek

A l’Est, le groupement Cornet s’est emparé du Rich Dar el Beida et de son village où le lieutenant Dauriach est tué. Le lieutenant aviateur Bertet et son pilote, le sergent de Vaulchier de Beschaut touchent les palmiers en jetant un message et s’écrasent au sol, mortellement blessés.
Au Sud-Est, enfin, la harka Bournazel a envahi la terre des Ghorfa sans perdre un seul homme. En moins de 2 heures, elle occupe les zaouias d’El Maati et d’El Ghazi et installe son poste de commandement à Ksar Djedid.
Au soir du jour J, le Tafilalet est virtuellement investi, mais Belgacem est encore en liberté. Quand au petit jour suivant Schmidt et Bournazel occuperont le district des Seffalat, ils ne l’y trouveront pas. A la faveur de la nuit, le Rogui boiteux, que les Filala appelaient “la Cigogne”, a pu franchir les barrages du groupement Denis et par Taguerrount et Mcissi, les seuls points d’eau possible s’est enfuit dans le Regg.
Le 26 janvier 1932, le Résident général Lucien Saint
vient à Rissani recevoir la soumission officielle des tribus

photos source : Koumia
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Lucien_Saint_Rissani_copy
Le Résident passe les troupes en revue
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Le Résident s'entretient avec le Capitaine Bournazel
et un chef de tribu venu demander l'aman

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Le Résident remet au général Giraud au nom de S.M. le Sultan
les insignes du Mérite Militaire Chérifien

31°37,24'N - 04°03,96'W. Une stèle qui n’est plus mystérieuse
BOUCHE Marius-Louis 1898-1933
Ses amis et les établissements CITROËN

Cette stèle en granit, que certains ont vainement tenté de détruire, commémore l’endroit où un représentant du garage France-Auto de Casablanca, concessionnaire de la marque Citroën, fut assassiné au cours d’une embuscade sur la piste où les malfaiteurs avait creusé une tranchée pour l’arrêter. Le véhicule fut ensuite brûlé.
C’est grâce à Pascal Marchal, organisateurs de raids au Maroc, féru d’histoire marocaine contemporaine qui, intrigué par cette stèle, s’est adressé aux archives de la Société Citroën, qui lui ont fait parvenir copie d’une revue intérieure d’époque (Bulletin Citroën n°106 de Juillet 1933) relatant l’événement.
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La stèle dans son état actuel

Je recherche des personnes ayant eu quelqu’un de leur famille en poste à Ouarzazate ou dans son “territoire”, autant militaire que civil. Si elles veulent témoigner, ce site est à leur disposition. Textes et photos seront les bienvenus. Évidemment votre participation passera sous votre nom.
Merci pour votre attention. Jacques Gandini.

 

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Remerciements

Merci à Madame Balmigère, à Madame Decordier, à Monsieur Lafite, à Madame Kerhuel et à Pierre Katrakazos pour avoir accepté de mettre leurs archives familiales à disposition. Sauf indication contraire, les documents reproduits font partie des archives de l’auteur.