Les pistes

La création et l’entretien des pistes

Mis à jour : dimanche 14 août 2011 16:54

L’occupation des ksour et les chantiers de pistes vont de pair

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Les tirailleurs sénégalais n'étaient pas des fainéants...


L’occupation progressive des ksour des palmeraies du Territoire de Ouarzazate exigea des goums un effort continu. Pendant que le chantier de la piste s’allongeait jour après jour, les officiers se livrèrent à un travail politique intense, appuyé par de nombreuses reconnaissances sur le territoire des tribus qui n’étaient pas encore officiellement ralliées. Ainsi, de bivouac en bivouac, l’influence de l’équipe du colonel Chardon s’étendit en même temps que la piste avançait. Tâche ingrate qui pouvait décevoir certains jeunes officiers avides d’aventures, bouillant d’une ardeur mal contenue et rêvant de combats héroïques et de gloire militaire. Pas de brillants faits d’armes, pas de mentions élogieuses à leur actif dans les rapports d’opérations, alors que dans d’autres parties du Maroc, les goums étaient en train de conquérir le terrain les armes à la main.


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La légende de la photo indique : "Tichka 1931. Je visite le chantier de la piste"

Les premières réalisations d’un officier des Affaires Indigènes dans une zone pacifiée concernaient les pistes : celles qui étaient aménagées ou améliorées pour la circulation des camions, autant qu’il était possible, et d’autres étaient créées. Pour ces travaux de voirie, comme pour les travaux d’urgence, il faisait appel aux prestataires et aux prisonniers, c’est-à-dire à deux des trois “P”, éléments primordiaux d’une règle sacrée du temps de la pacification : Prisonniers, Prestataires, Partisans.
Le prestataire était l’outil précieux en cas de besoin.Par la main d’oeuvre locale, employée aux travaux de piste, le bureau des A.I. apportait ainsi une source de richesse à des populations dont les conditions d’existence étaient difficiles avant l’arrivée des troupes makhzen, en période de sécheresse surtout. La piste assurait également le ravitaillement de ces pays déshérités; elle permettait les interventions rapides, la surveillance et l’administration à bon compte d’un pays sans grande valeur.
Pendant  l’exécution des travaux, que dirigeait l’officier des A.I. spécialisé dans l’entreprise d’apprivoisement que constituaient les chantiers de pistes, la progression en était suivi progressivement par les camionnettes des transporteurs indigènes, qui assuraient la liaison entre la zone soumise et la dissidence et dont le concours politique était aussi inattendu qu’efficace.

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Marc Méraud
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Extrait de : Histoire des A.I. La Koumia 1990
Au temps de la dissidence, l’économie était fruste et les pistes muletières qui serpentaient dans la montagne, reliant les douars isolés aux points importants : souks, marabouts, demeures de notables ou de chorfas, arbres sacrés où se prêtaient les serments, suffisaient largement à la satisfaction des usagers. Rarement, pour ne pas dire jamais entretenues, ces pistes, créées à force de passages, suivaient dans la montagne des tracés utilisant les cols. Mais elles ne craignaient ni les fortes pentes, ni les abrupts où les pieds des mules se sentaient à l’aise. Pour les opérations militaires, il fallut ouvrir des routes à la circulation des convois. Le Génie militaire y contribua, mais aussi la troupe et particulièrement la Légion. Le développement d’un souk ou la création d’un nouveau marché amenaient vite autocars et camions. Les gués des oueds ne suffirent plus et la construction de radiers se révéla bientôt nécessaire pour traverser en véhicules automobiles des rivières généralement à sec, mais infranchissables en cas d’orage.

La pacification au Sud de l’Atlas terminée, la construction et l’entretien des pistes incombèrent aux Affaires Indigènes. Ce sera un de leurs soucis primordiaux constants, car l’économie en se développant et en se diversifiant, nécessita de nouveaux axes de pénétration. Mais les crédits officiels étant forts limités dans les régions lointaines, il fallait faire appel aux corvées (touizas) et aux prestataires. Pour l’entretien courant, la piste était partagée en secteurs sous la responsabilité des différentes fractions de tribu dont elle dépendait. Survenait-il un orage ? Sans autre indication, le cheikh du secteur envoyait ses hommes réparer les dégâts : les autorités, le médecin, la voiture postale, le ravitaillement devaient pouvoir passer.

Lorsque les dégâts étaient plus importants, un mokhazni était détaché du poste avec des outils, des gabions, et il remettait en état avec l’aide de la tribu, le radier emporté par la crue. C’était un travail important et certains mokhaznis chevronnés avaient acquis l’expérience de ce genre d’ouvrage délicat, car s’il était mal refait, le radier était emporté par l’orage suivant. La création d’une piste requérait la plus grande exigence : de nombreuses reconnaissances étaient nécessaires avec goniomètre-boussole et alidade nivélatrice pour faire au départ le point de stationnement et repérer les principaux accidents du terrain, et aussi avec sitomètres et mires pour rechercher le meilleur tracé, la pente la plus faible avec le minimum de terrassement.

Les archives, les précédentes études de terrain - souvent accompagnées de projets faits par les prédécesseurs - apportaient de précieuses indications. Parfois la construction d’un pont était nécessaire, et l’aide du Génie rural ou militaire (ou la Légion) était requise pour réaliser les travaux. La création et l’entretien des pistes (dont beaucoup devinrent rapidement des routes), représenta un chapitre important du travail des Affaires Indigènes qu’on retrouve dans toutes les fiches de tribu et dans tous les passages de consigne.

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Toute la main d'oeuvre est bonne à utiliser...


Le premier souci d’un officier des A.I. : Les routes, plutôt les pistes...


On a du mal à imaginer qu’elles étaient les voies de communications au Maroc au début du XXe siècle. La piste, en fait un sentier, était accessible au piéton ou à l’homme monté sur un animal porteur (bourricot, mulet, cheval ou chameau), mais elle interdisait l’emploi d’un véhicule quelconque; elle ne pouvait supporter la roue. A vrai dire, il y a un siècle, le Maroc ignorait entièrement la roue, la charrette et la brouette. Tous les transports, individus et marchandises, se pratiquaient à “dos de bête”. Il en était ainsi de la plus grande partie de l’Afrique occidentale. Les routes telles qu’on les concevait en Europe, tracées, construites, entretenues, supposaient une organisation centralisée (budget, techniciens des travaux publics, etc.), services complètement inconnues au Maroc jusqu’à la fin du XIXe siècle.
A quels besoins répondaient les rares pistes marocaines ?
A quelques besoins politiques intermittents : voyages du sultan de l’une à l’autre de ses capitales, déplacements de ses méhallas vers telle ou telle région à la fidélité intermittente et aussi à quelques besoins économiques encore bien réduits : répartition des récoltes d’orge ou de blé dur, dans la mesure où elles n’étaient pas réservées aux besoins des régions productrices, sans oublier le sucre produit par la vallée du Sous. Ainsi que les importations de cotonnades et de bougies, seules marchandises étrangères que l’indigène avaient alors le goût et les moyens d’acheter.
D’autre part le moindre trouble suscité par une tribu en révolte détournait le trafic d’un point vers un autre et amenait parfois la disparition de centres jusque là prospères.

C’est dans un tel pays que les soldats français durent progresser et s’installer, suivant la méthode bien connue de la “tâche d’huile” de Lyautey qui s’appliqua tout de suite aux pistes, afin de ravitailler régulièrement les bases d’action principales à l’aide des convois. Les soldats, entre les combats, prirent alors la pelle et la pioche. Il serait peut-être difficile, mais il serait sûrement bien émouvant, de retracer avec précision la part que prirent la troupe et en particulier, le plus glorieux des corps de l’Armée française, la Légion étrangère, à la construction des pistes marocaines. On trouve encore aujourd’hui, ici et là, quelques traces de ces efforts : la grenade à cinq flammes, symbole de ces régiments étrangers, sculptés ou gravés sur des rochers, sans oublier les tunnels qu’elle a percé sans explosifs en y laissant d’importantes traces de leur action.

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Légionnaires construisant un radier sur l'oued Ghéris


En fait, travaux publics, génie, soldats, tous les corps et services travaillèrent d’un même cœur et s’entraidèrent avec camaraderie dans le même élan joyeux, la même volonté de réussir vite et bien.

Le Maréchal Lyautey avait coutume de dire “un chantier vaut un bataillon”; c’était juste : les indigènes qui travaillaient sur un chantier étaient autant d’hommes enlevés aux agitateurs, autant d’hommes gagné aux avantages des méthodes françaises : salaires équitables, nourriture régulière, soins médicaux, discipline ferme mais bienveillante des chefs.
En 1930, les routes qui partaient du Maroc “utile” se sont avancées progressivement vers les régions du bled es Siba qu’elles ont aidé peu à peu à réduire.
J’ai eu l’honneur de voir en plein Atlas des chantiers de route dirigés par des sous-officiers du génie sous les ordres d’un ingénieur des travaux publics, âgé de moins de trente ans qui se passionne pour son œuvre au point de passer de longs mois sous la tente sans rentrer dans une ville, sous un toit de maison. Quelle rude vie, mais quelle vie, mènent de tels hommes ! Ce sont de vrais constructeurs, de vrais civilisateurs...
“... Autre détail qui frappe, à chaque voyage, les habitués du Maroc : les arbres au long des routes et des pistes. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, lorsque j’ai visité pour la première fois le Maroc, il n’y avait pas d’arbres le long des routes toutes neuves. A chaque nouveau voyage, je suis émerveillé d’y voir maintenant des eucalyptus, mûriers et autres variétés se multiplier en nombre et croître avec vigueur. Il a fallu de l’énergie et de la surveillance pour forcer l’autochtone, si dédaigneux de l’arbre, à respecter les jeunes plans en lui interdisant d’y attacher ânes, mulets et chevaux, rongeurs
d’écorce tendre. Peu à peu la France fait reverdir des contrées où depuis l’invasion hilalienne, l’arbre avait disparu...”
En partie d’après : Aux portes du Sud, le Maroc, par J. Ravennes. Editions Alexis Redier 1931.


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La construction de la piste d'Assaka


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Remerciements

Merci à Madame Balmigère, à Madame Decordier, à Monsieur Lafite, à Madame Kerhuel et à Pierre Katrakazos pour avoir accepté de mettre leurs archives familiales à disposition. Sauf indication contraire, les documents reproduits font partie des archives de l’auteur.