La vallée du Draa

L'oued Drâa et ses affluents

Mis à jour : lundi 2 février 2015 17:25

L'origine de l’oued Drâa


D’après un texte du lieutenant Tingry paru dans la revue L’Armée d’Afrique, en juin 1928.
Issu du haut-Atlas, depuis le Tidili, opposé par ses sources au Tifnout, jusqu’aux hauts plateaux des Aït Haddidou qui partagent leurs eaux entre le Dadès et le Todgha, l’oued Drâa recueille les eaux de 200 kilomètres de la grande chaîne.
Au point di Imi n’Drâa, à 15 km à l’Est du poste de taourirt de l’Ouarzazate, viennent confluer les deux branches finales d’un grand éventail qui amènent chacune :
La branche Ouest (Idermi) :
- l’assif Aït Douchchen, issu des Zenaga;
- l’assif Iriri, du jebel Siroua;
- l’assif Tidili et l’assif Imini, issus du Tizi n’Zarzist et du haut Ourika, du Tizi n’Tainant et du Tizi n’Tichka;
- l’oued Mellah, de Telouet et du Tizi n’Telouet;
- l’oued Ounila, du Tizi n’Tasga et de l’Anghomer.
La branche Est (Dadès) :
- l’assif Mgouna, issu du Tizi n’Aït Imi (Aït Bouguemez);
- le Dadès proprement dit, issu du Tizi n’Timerghicine.

Oued_Ouarzazate


Entre les deux branches principales viennent converger divers petits cours d’eau sillonnant les terrains des tribus Guernan et Imerghan. Il y a lieu de signaler que l’oued mellah et la plupart des cours d’eau issus de l’Ounila et de l’Anghomer sont plus ou moins salés.
Une particularité de tous les cours d’eau de la branche Ouest, sauf l’assif Aït Douchchen et l’assif Iriri est de présenter un cours en forme de T ou d’Y très ouvert : deux branches qui vont converger, coulent parallèles à l’axe général de l’Atlas, entre le pied de la chaîne proprement dit et le rebord d’immenses plateaux calcaires appelés les Khelaa : Aguerd, Mougar, Kheniaz, Tamghakt, Khelaa Tasseda et Khelaa Tibhat. C’est la partie des cours où l’eau coule en permanence et où les douars se pressent. Puis chaque branche de l’Y rejoint la branche opposée et forme alors un cours unique qui descend entre deux khelaa pour se diriger vers le grand bassin de réception : l’Ouarzazate.
Dans les falaises des khelaa, ou plutôt dans la tranche que l’on voit en suivant les vallées des oueds qui les coupent, on remarque de très nombreuses grottes de diverses dimensions et à diverses hauteurs, les unes servant d’abris aux troupeaux, d’autres, plus hautes, à des bandes de pigeons; ces grottes sont toujours assez mystérieuses pour les autochtones qui leur donnent le nom de Tiguemmi n’Roumi, terme assez généralement employé par les Berbères, chaque fois qu’ils se trouvent en face d’une particularité dont ils ne connaissent pas ou ne s’expliquent pas l’origine.

Draa

 

Tous les cours d’eau de la branche Ouest viennent donc confluer dans une vaste cuvette dont la partie Est est occupée par la palmeraie de l’Ouarzazate, effondrement de 30 km sur 10. Ils semble que ce soit cette dépression qu’il faille chercher la limite entre le Haut et l’Anti Atlas. Coupée en deux par un éperon des massifs descendant de l’Ounila, cette dépression comporte deux zones de cultures et de palmeraies bien distinctes : le groupe de Tikkirt à l’Ouest et celui de l’Ouarzazate à l’Est; la ligne qui les partage est jalonnée des deux points importants suivants : Afella Ifri, au Nord, Ighir n’Ououl (dit le Pain de Sucre de Tikkirt) au Sud. De cette dernière colline, qui ne domine la plaine avoisinante que d’une centaine de mètres, on voit réapparaître les terrains anciens, annonciateurs de l’Anti Atlas. Au contraire en regardant vers le Nord, on voit s’étager en échelons rectilignes les plateaux des khelaa, la base, généralement composée de terrains permotriasiques, de couleur rouge très caractéristique, le sommet formé de couches régulières de calcaires récents et plutôt tendres, de couleur blanche.

Les Khelaa, plus découpées en réalité qu’elles ne le paraissent au premier abord, frappent cependant par une remarquable continuité de la ligne générale du relief de jadis. Elles sont uniformément inclinées du Nord vers le Sud, et toujours couronnées de la même couche de calcaires tendres parallèle à la pente générale du terrain. Dans ces falaises calcaires, ou plutôt dans la tranche que l’on voit en suivant des oueds qui les coupent, on remarque de très nombreuses grottes de diverses dimensions et de diverses hauteurs, les unes servant encore parfois d’abris aux troupeaux, d’autres, plus hautes, à des bandes de pigeons; ces grottes sont toujours assez mystérieuses pour l’indigène et elles reçoivent le nom de “Tiguemmi n’Roumi”, terme assez généralement employé par les Berbères, chaque fois qu’ils se trouvent en face d’une particularité dont ils ne connaissent pas, ou ne s’expliquent pas l’origine. On ne rencontre pas d’avens, comme on en trouve dans les couches calcaires sur les flancs Nord du Haut-Atlas. Il est possible que leur absence soit attribuée à la faiblesse des précipitations atmosphériques.

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Agdz. Kasbahs au bord du Draa.


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"L’Ouarzazat forme transition entre le Draa et le Dadès. Les ksour restent importants mais ne s’entourent pas d’une enceinte aux lignes régulières : les murs extérieurs des hautes maisons qui les composent servent de rempart. Ainsi en est-il au ksar à demi ruiné, mais très pittoresque, de Tifoultout. Souvent aussi ces ksour contiennent des tighermt qui en effilent encore la silhouette. Le village des Aït ben Haddou échelonne sur une pente de roches rouges, au bord d’un oued, une cascade de maisons et de tighermts.
Mais le joyau de cette région est la kasbah de Taourirt du Ouarzazat. Sa célébrité ne lui vient pas seulement de ce qu’elle est venue des premières grandes architectures berbères que rencontre le voyageur venant de Marrakech : elle vaut à la fois par la masse énorme et par le pittoresque sans cesse renouvelé de ses aspects de détail. Du côté de l’oued elle fait jaillir, au-dessus des jardins, d’énormes murailles de terre lisse ponctuées de décrochements et de vastes bastions. Au sommet du versant que recouvre la kasbah, une haute construction - la demeure du chef de la forteresse et de la région - reprend et accentue l’élan de tout l’ensemble. A l’intérieur, les cours qui entourent la résidence seigneuriale, les ruelles où s’entassent les gens du commun composent d’étonnants tableaux. Les masses architecturales s’équilibrent toujours avec un rare bonheur; il faut parcourir lentement cette kasbah pour se convaincre des ressources plastiques de l’architecture berbère.
Henri Terrasse 1938

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Le Moyen Drâa
du confluent des oueds Dadès et Ouarzazate au Mhamid

 

A Imi n’Drâa, l’Idermi (oued de l’Ouarzazate) se joint au Dadès et forme enfin le Drâa. Le confluent, enserré dans les gorges profondément creusées de la Khelaa Timikirt, a un indéniable cachet de grandeur dans sa sauvagerie, ce ne sont que falaises et éboulis de roches noires et luisantes.

Sur la carte de Ptolémée, géographe natif d’Alexandrie mort en 168 après J.C., on retrouve le nom de Darados. Des traditions orales, on peut retenir que le nom de Drâa viendrait d’un partage effectué entre les tenants de l’empire judéo-berbère qui dominait alors la région et les chrétiens du Drâa avant l’arrivée de l’Islam. Ils se seraient partagé cette zone (coudée par coudée : Drâa). Au Foum Tidri, le fleuve, en franchissant la deuxième ride du jebel Bani, forme bien un “coude” puisqu’il quitte l’axe Nord-Sud-Est pour prendre franchement la direction Est-Ouest.
Mesurant environ 900 km, le Drâa est le plus long fleuve du Sud marocain. Il prend son nom au confluent de l’oued Dadès et de l’oued Ouarzazate, en aval de cette ville, confluent maintenant recouvert par le lac du barrage el Mansour Eddahbi. Il traverse l’Anti-Atlas par une cluse vertigineuse : la Taghia du Drâa où a été construite la retenue. En aval du coude de Mhamid, l’oued Drâa longe, sur sa rive droite, la retombée méridionale de l’Anti-Atlas et sur sa rive gauche, le front escarpé du jebel Ouarkziz. Avant la construction du barrage, ses crues alimentaient parfois l’étendue lacustre du lac Iriki qui était alors une réserve ornithologique importante. De loin en loin, des étranglements rocheux divisent la vallée en oasis d’inégale étendue, formant autant de districts naturels dont les plus anciens textes arabes font apparaître l’individualité séculaire.

De l’amont vers l’aval, l’oued Drâa arrose les palmeraies du Mezguita, Tinzouline, Ternata, Fezouata, Lektaoua et du Mhamid. Ces fragments de vallée, d’une relative indépendance, étaient cependant étroitement assujettis à des nécessités identiques : besoin impérieux de l’irrigation et de la liberté des communications.

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1931. Au bord du Drâa.


Pour l’eau, seules des crues très puissantes, reliées par d’autres provenant des affluents issus du versant sud de l’Anti-Atlas, permettaient autrefois à l’eau d’atteindre la mer. Le régime des pluies de la vallée du Drâa est soumis à cette latitude, à des périodes d’humidité et de sécheresse bien connues dans l’Antiquité (les sept vaches maigres et les sept vaches grasses de la Bible). Dans ces conditions, la zone présaharienne peut passer d’une longue période sèche à des inondations catastrophiques.

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C’est au moment de la grande sécheresse de 1937 et de la famine qui s’en suivit que furent créées la mission Grey (hydrologique) et la mission Choubert et Robaux (hydrogéologique) pour faire les premières études et trouver des mesures idoines afin de parer au plus pressé et au sauvetage des populations concernées. Les travaux furent entrepris par les Affaires Indigènes, coordonnés avec les deux missions pour utiliser la main-d'œuvre locale afin de préparer les périodes fastes du retour des pluies sur l’Atlas et l’Anti-Atlas qui apporteraient les crues bénéfiques.

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Chadouf dans le Ktaoua

 

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Un chadouf vers Mahmid el Ghozlane

Ensuite dans le cadre de la meilleure utilisation des eaux disponibles, le service des Travaux Publics du Protectorat obtint des résultats intéressants par des ouvrages de petite et de moyenne hydraulique qu’il réalisa, parmi lesquels peuvent être cités : la création et la restauration de plusieurs barrages de crues entre Agdz et Zagora, le principal étant celui d’Ifli destiné à irriguer une grande partie du Ternata; le bétonnage des principales séguias alimentant les palmeraies du Tinzouline, Ternata, Fezouata et Mhamid; la réorganisation de certaines parties du réseau de distribution de l’eau; la construction d’ouvrages secondaires, d’aqueducs et de siphons. Ces perfectionnements améliorèrent les résultats de l’irrigation traditionnelle mais ne pouvaient suffire à redonner toute leur splendeur aux palmeraies; c’est pourquoi, il fut décidé la construction d’un barrage en amont du Drâa.

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1950. Foum Azlag

François Bonjean
: Au Maroc en roulotte. Hachette 1950.

Voyage effectué en 1946-1947
Au bord de l’oued, la palmeraie et ses abords sont peuplés par une fraction des Aït Ouaouzguit de l’Est, les Ahl Ouarzazate, ksouriens sédentaires, mi-fellahs mi-bergers. Les circonstances historiques ont favorisé depuis des siècles en cet endroit le mélange des différents types berbères avec les Harratines et même avec les Noirs.

A cet égard, Ouarzazate se présente comme une pointe avancée du Soudan. On rencontre dans la kasbah un type de grandes et solides négresses au port de tête et à la démarche caractéristiques.
Je descends de bonne heure la colline du poste par le sentier qu’ont tracé les pieds les femmes des tirailleurs sénégalais allant laver leur linge dans l’oued. Je tombe sur le beau jardin des A.I., à la fois palmeraie, verger et potager. C’est dans ce site plus riant que s’édifiera la nouvelle ville. La route de Zagora y passe. Je l’emprunte pour traverser l’oued Ouarzazate, ou plutôt son lit, large de plus d’un kilomètre.
Cet oued, appelé encore oued Idermi, provient de la réunion à Tikirt des oueds Mellah et Imini, descendus de l’Atlas et de l’Irhiri venu de de l’énorme massif volcanique du Siroua. Son confluent avec le Dadès, à vingt kilomètres d’ici, forme le Drâa.

 


Les crues de l'oued Drâa


L’apport de la pluie étant insignifiant dans la vallée du Drâa, toute la vie des palmeraies et des jardins reposait sur l’irrigation, l’eau provenant à l’époque de puits équipés de système à balancier puisant l’eau dans la nappe phréatique. Mais la nappe n’étant pas inépuisable, elle devait être alimentée uniquement par les crues de l’oued.

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Hiver 1942. Deux camions de la C.A.T. en mauvaise posture.

 

 

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Pour sortir le car, il a fallu l'intervention des légionnaires

 

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Archives Decordier


Quand une crue était annoncée c’était un événement tout au long de la vallée, d’Agdz à Tagounit. Toute la vie des palmeraies était suspendue à la crue du Drâa comme l’Egypte à la crue du Nil, avec cette différence que la crue du Drâa était irrégulière et imprévisible. Au printemps, en automne, en hiver, nul ne pouvait la prévoir. Parfois il pouvait y avoir plusieurs crues dans l’année mais certaines années la crue atteignait péniblement Zagora et c’était alors la famine pour le restant des douars dont les jardins et les cultures se mourraient. Un exode se produisait alors vers les grandes villes du Nord.
A la suite de pluies plus ou moins fortes ou de la fonte des neiges sur l’Atlas on pouvait annoncer une crue plus ou moins importante. Dans les différentes annexes des A.I., on était suspendu au téléphone.
- la crue a dépassé Agdz !
- elle a atteint les Ouled Yahia !
- elle arrive à Zagora !
- elle est maintenant à Tamgrout !
- à grand renforts de cris et de burnous on la signale à Dadda Atta !
- la voici aux têtes de séguia en amont du Ktaoua !
Avec un peu de chance les palmeraies plus au Sud vont en profiter.
Telle une armée victorieuse défilant dans une ville libérée, la crue s’avançait dans les palmeraies au milieu des cris et des taghorit (1).
En tête, pour remplacer les tambours, des rouleaux de vagues déferlaient en grondant, charriant des branches, des rochers, des épaves, des cadavres d’animaux et parfois d’êtres humains. A la puissance de cette “fanfare” on évaluait l’ampleur de la crue.
Les chefs d’annexes participaient à la fièvre générale en courant d’un groupe à l’autre. Les Draoua volubiles, les Aït Atta à l’air important, y allaient tous de leurs pronostics. Si la crue arrive sans bruit elle ne dépassera pas le Ktaoua ! Si, au contraire, elle avance avec un grondement de tonnerre elle atteindra le Mhamid pour se répandre dans les bour (2). Peut-être même ira-t-elle inonder les zones d’épandage de l’Iriki et des zbar...
Dans toute la vallée ce sera aussi une période de chikaya sans fin, et, tout de suite, de violentes contestations au sujet de la répartition de l’eau... On peut imaginer l’importance des droits de l’eau dans une oasis où la répartition est une question vitale. Si un des droits n’est pas respecté, c’est un groupe humain qui risque de s’éteindre. C’est pourquoi, avant de lancer un programme de travaux hydrauliques, il était indispensable que les officiers des A.I. fassent une étude sérieuse de ces droits d’eau.
On pourrait penser que la multiplication des barrages favoriserait l’irrigation. Cela favoriserait surtout les territoires de l’amont en assurant la mort des oasis en aval. On avait remarqué qu’avant la pacification, les guerres perpétuelles que se livraient les tribus dans la haute vallée empêchaient les habitants d’entretenir leurs séguias ce qui permettait à l’eau d’arriver plus abondante en aval.
La répartition des barrages est un problème d’ensemble qui demanda de longues études, en étroite collaboration par le service de l’hydraulique chargé des questions techniques et le service des A.I. chargé de l’étude des problèmes humains. Comme exemple de cette collaboration on peut citer Marcel Reine, le représentant de l’hydraulique à Zagora, un amoureux de l’oued Drâa qui à lui seul avait remplacé la mission hydrologique Grey et la mission hydrogéologique Choubert et Robaux, et qui, pendant 12 ans, a travaillé, en contact étroit et amical avec tous les officiers d’Affaires Indigènes qui se sont succédés dans le secteur.
La solution retenue pour l’ensemble de la vallée consista à ne pas modifier la répartition des eaux de crue afin de ne pas ruiner les oasis d’aval mais à construire en amont un grand barrage de retenue permettant de régulariser les crues et d’envoyer les eaux aux périodes les plus favorables. Ce barrage, fruit de longues études, fut réalisé après la fin du Protectorat : c’est le barrage Mansour Eddabi à Ouarzazate.
(1) taghorit : youyous des femmes
(2) bour : terrains qui servent surtout de pâturages

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Le creusement des khettara, une spécialité des Draoua
Dr Paul Chatinières. Extrait de : Dans le Grand Atlas marocain. Extraits du carnet de route d’un Médecin d’assistance médical indigène 1912-1916. Éditions Plon 1919
Les Draoua, que l’on trouvait à l’époque exilés dans beaucoup de régions du Maroc, s’étaient spécialisés dans le creusement des khettara, ces longs conduits souterrains qui, dans toutes les oasis du Sud et à Marrakech particulièrement, amenaient l’eau du sous-sol à la surface par simple déclivité, fertilisant ainsi d’immenses contrées privées d’eau.
khettara
1. Zone de récolte de l’eau d’infiltration
2. Tunnel d’écoulement (souterrain)
3. Canal d’écoulement de surface
4. Puits
5. Stockage
6. Zone d’irrigation
7. Roche perméable
8. Sol fertile
9. Niveau de la nappe phréatique

On recherchait les Draoua partout pour leur art si spécial, fait de patience et de ténacité, travail de taupe, servi par l’instinct inné de l’hydrologue. Ils exerçaient, en outre, la profession de maçons ou plutôt de bâtisseurs en pisé.
"Une équipe de Draoua était précisément en train d’élever de nouvelles constructions attenant à la kasbah de Taourirt. Tête et bras nus, sous le soleil ardent, vêtus d’une simple chemise flottante, ils tassaient, à grands coups de dames en bois, la terre rouge dans un moule. Ce moule, dressé au-dessus du mur en construction, était fermé de deux tables de bois verticales et parallèles dont l’écartement formait l’épaisseur même du mur.
Les Draoua travaillaient en chantant des mélopées sauvages, au rythme lent et scandé. Le chef d’équipe entonnait, les autres reprenaient le refrain et les dames s’abattaient en mesure donnant l’illusion d’un galop. Petit à petit, le rythme s’accélérait, les coups se précipitaient, c’était la charge; l’équipe soufflait, s’époumonnait en chantant de plus en plus rapidement. Le chef d’équipe terminait brusquement la complainte par un cri guttural, tandis que toutes les dames s’abattaient lourdement une dernière fois. Ils étaient tous las et en sueur; la terre suffisamment tassée dans le moule, ils enlevaient les tables et déplaçaient le moule pour continuer le mur et recommencer leur sarabande."
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Les droits de l'eau dans le Ktaoua


Les droits d’eau sont attachés aux parcelles de terrain. Le territoire irrigué appartenant à un ksar s’appelle le qtaa. Il est partagé en un certain nombre de tagourt (plur. tigoura). Chacune, en principe, possède sa séguia branchée sur la principale. Dans la tagourt, on trouve des jardins clos qui, en plus de l’eau de crue, sont irrigués par des puits, et des champs irrigués uniquement, en principe, par les eaux des crues. Les uns et les autre sont des propriétés privées.
En bout de séguia, s’il reste encore de l’eau, elle est épandue dans des terrains appelés bour qui sont une propriété collective du ksar, et qui servent surtout de pâturages. Il existe enfin quelques franges de terre incultes couvertes de maigres broussailles que l’on appelle châara, qui sont également des biens collectifs rarement arrosées. Dans chaque ksar, un moqadem de séguia, notable très important, règle la répartition de l’eau.

Dans le Ktaoua, le droit d’eau dépendait d’une réglementation très stricte à l’échelon du ksar. Elle était liée à la structure politique et sociale très particulière des oasis. Les litiges à l’intérieur du ksar étaient réglés par la djemaâ (ou taqbilt) qui faisait appel, si le cas était difficile, à des foquaha spécialisés. Si cela ne suffisait pas, on faisait alors appel à l’aayouna.
Entre les ksour, il existait enfin de très anciennes conventions réglementant les prises d’eau soit sur l’oued, soit sur les séguias principales qui irriguent plusieurs qtaa. Les mrabtin (marabouts) de la zaouïa de Sidi Salah étaient depuis toujours spécialisés dans ces problèmes et l’on faisait appel à eux en cas de litige.
Enfin, pour faire appliquer les jugements, ou plutôt les arbitrages, il y avait au Ktaoua l’institution originale de la raya : la protection. Chaque ksar était lié par traité à une tribu des Aït Atta qui, en échange de certains avantages, se chargeait d’assurer la sûreté intérieure et extérieure du qtaa, la police de l’irrigation et la surveillance des récoltes.
Pour se rendre compte de la situation en face de laquelle se trouvait l’officier chef d’annexe, il faut encore ajouter qu’au moment de la pacification, les Aït Atta étaient classés tribus de coutume et pourvu d’un tribunal coutumier, tandis que les Draoua étaient classés tribus de chraa pourvus d’un cadi.

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Remerciements

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