La rocade du Nord-Est

Les différentes dimensions des Amghars et marabouts d’autrefois

Mis à jour : dimanche 14 août 2011 20:38
Source : D'après un texte de Mohamed El Manouar. Journal Le Matin du 15-04-2005

Timmoughra était une véritable institution qui dominait dans les régions rurales marocaines. Elle a connu de profondes mutations qui allaient s'accélérant à partir de la pénétration coloniale jusqu'à nos jours. Amghar (cheikh) est un terme générique dont le sens englobe plusieurs dimensions. Il indique d'abord l'âge dans sa maturité, donc porteur d'expérience, de recul, de compétence, de la mesure et de la parfaite maîtrise des subtilités du terroir et des us et coutumes. L’amghar est ensuite l’homme en charge de la conduite des affaires publiques.
Cela sous-entend, à ce titre, le respect, la considération que lui témoignent ses contribules en le rehaussant et en le consacrant dans cette position honorifique. Il va sans dire que l'accession à cette charge obéit à des critères, à des considérations hautement sélectives et contraignantes en même temps.
La charge, en question, est plurielle et s'applique non seulement au domaine politique, mais également, au niveau économique comme c'est le cas pour les terrains de parcours, le terroir agricole et au social, dans son acception la plus large.
Au niveau de la territorialité, elle est aussi variée. Amghar peut être en charge d'un ou de plusieurs villages. Dans ce dernier cas, les concepts appliqués sont amghar n’usggas, amghar n’uflla. La trajectoire du terme laisse apparaître une trilogie qui retrace son évolution : amghar n’siba, amghar n’listiâmar et enfin amghar dans sa refonte actuelle.
Dans les régions du Sud marocain notamment, amghar, n'est qu'un élément non moins important de toutes les structures sociales, politiques et économiques qui présidaient à une gouvernance de proximité qui prévalait jusqu'alors. La pénétration coloniale a largement contribué à leur affaiblissement, à leur effritement qui ont été grandissants.
Le cas proposoé est en relation avec la désignation par les habitants du village Aït Boubker ou Ali dans la commune actuelle de Souk al Khemis du Dadès, de leur amghar. La désignation était, dans un document manuscrit, cautionnée par les principaux répondants des différents ighsane qui composent le village en question.
Après avoir cité les représentants des lignages, le texte mentionne les principales règles à observer. Le mélange des termes arabes et amazigh, rend la reconstitution sémantique du texte quelque peu malaisée surtout pour les chercheurs non avertis et ne maîtrisant pas la langue amazigh.
Ces règles de droit suivies de sanctions pécuniaires précises s'appliquent à une territorialité définie, celle du village avec ses limites toponymiques communément admises dans cet espace. Les principales dispositions du texte sont clairement définies par l'accord transcrit dans ce document :
1- La dispute avec les habitants du village ainsi que la fomentation de discordes et de désunion sont réprimées. Un autre manuscrit retrouvé dans le village de Tansghart est plus nuancé. En cas d'agression contre une personne sans blessure, la pénalité est d'un demi rial que multiplie le nombre d'enfants à charge. En cas de préjudice corporel, elle est fixée forfaitairement par quatre ijmmaân du village. Le quart de la somme fixée est versé au représentant du village, le reste à la collectivité villageoise. L'on comprend l'acuité d'une telle mesure au sein d'une communauté qui se doit de rester constamment solidaire et unie.
2- Afin de sauvegarder les intérêts collectifs des villageois, il est interdit de faire pâturer les troupeaux familiaux devant le village. Il apparaît que cet espace doit être respecté par la communauté dans la mesure où sa propriété est collective. Le montant de la pénalité n'est pas indiqué. Le terme invoqué est plus fort : kassara (casser), terme arabe qui induit une violation de ce qui est convenu. Le terme amazigh, irza, a la même connotation qui dépasse le montant d'une pénalité car celui qui se rend coupable d'une telle violation trouvera beaucoup de peine à trouver dans l'avenir un aval et un répondant même parmi son lignage.
Le fait de ne pas préciser le montant de la pénalité appelle deux remarques : soit que cette pénalité est connue de la communauté, et l'on comprend l'usage interne de ce genre de documents qui n'ont aucune velléité extra-villageoise. D'ailleurs, nombreux sont ceux qui se limitent à préciser qu'à ce délit correspond la somme bien connue; soit que ljmaât à toute la latitude de fixer au cas par cas et en fonction de plusieurs considérations la somme à exiger.
3- La troisième règle est l'interdiction de passage sur un territoire défini. L'amende correspondante est fixée à une sahfa d'orge.
Les disputes sont réprimées : une amende de 8 awjuh est prévue par le texte.
L'élément perturbateur au sein de la communauté est passible de 2 awjuh.
Même celui qui insulte une autre personne doit verser la somme connue.
Le vol est largement réprimé dans cette société qui se fonde d'abord sur la confiance, la quiétude et la solidarité de toutes ses composantes. Celui qui vole est passible de la somme de 25 uqiyya.
La consultation d’un manuscrit de la région du Drâa relatif à la désignation d'un cheikh du village de Tinzouline vers la fin du XIXe siècle éclaire plusieurs points. Pour les vols, il fixe la même pénalité, soit 25 uqiyya, avec toutefois le paiement en sus de la valeur de l'objet dérobé.
Outre les problèmes de mesures et d'unités de paiement, le document pose la problématique des pénalités recouvrées et leur destination.
Le texte semble répondre à la question en précisant qu'il s'agit des «droits» du cheikh désigné : huquq (pl.) haqq (sing.) : droits qui lui sont garantis non seulement par les répondants de tout le village mais aussi par la présence symbolique d'un personnage religieux qui garantit la légitimité de la convention.
Toutefois, dans les faits, l’amghar prélève une partie de la pénalité, le reste est remis à la victime quand celle-ci est physique. Quand elle est collective, l’amghar prélève la totalité pour son compte. Le manuscrit de Tinzouline est plus claire : il précise que les droits sont perçus par le cheikh sous forme de pénalité (ad-daâira) dont il prélève une partie, en précisant que : “celui qui a blessé quelqu'un doit donner 25 uqiyya au cheikh et douze à la victime”.
Dans le droit positif amazigh, les sanctions sont essentiellement pécuniaires, astreignantes et adaptées au contexte socio-économique. Ce droit ne connaît pas la peine capitale. La sanction extrême est le bannissement qui est considérée, à juste titre, comme une mesure largement répressive dans la mesure où la personne ne peut vivre et s'épanouir en dehors des siens.


Légende sur la fondation d’El Hart n’Iaamine
Source : Moha Qeddi, considéré l’homme le plus âgé d’El Hart n’Iaamine.

On dit que le premier habitant d’El Hart fut un potier nommé Imizi, venu de Tamgrout (vallée du Draâ) vers le milieu du XVIIIe siècle. Cet homme fut bien reçu par les Ait Hemmi d’Amzrou, qui lui offrirent un emplacement où bâtir sa maison et un atelier de poterie. Mais quand ses enfants grandirent, les Ait Hemmi commencèrent à avoir peur d’être dominés par les étrangers et les chassèrent de leur territoire.
Alors la famille de potiers chercha refuge dans une place nommée Tinigoumadène. Là, ils construirent une maison sans porte, à laquelle on pouvait accéder seulement en grimpant par le mur à l’aide d’une corde. Ils agirent de cette façon par crainte d’un redoutable lion qui ravageait la région à l’époque.
Plus tard arriva un frère du potier nommé Mansour et à deux ils bâtirent une maison plus grande et renforcée, ainsi qu’un nouveau atelier de poterie. Très hospitaliers, ils accueillirent différentes familles qui leur demandaient l’autorisation pour habiter près de chez eux. C’est ainsi qu’El Hart n’Imziouen est né.
Quand ce village atteint la trentaine d’habitations, commencèrent les conflits avec les Ait Hemmi d’Amzrou. Alors les potiers appelèrent leurs proches de Tamgrout, qui arrivèrent pour leur secourir, et El Hart devint le ksar le plus puissant de la vallée du Todgha.

El Hart n’Iaamine au début du XXe siècle
En 1930, le lieutenant Beaurpère écrit à propos d’El Hart n’Iaamine :
« Grand ksar de la rive gauche, un des plus grands du Todgha avec Tinerhir ; la population se divise en neuf clans repartis en deux groupes.
1 - Ait Ameur : comprend les Ait Abdelmalek, Ait Mhand Ou Ameur, Ait el Khoukh, Ikeddaren [potiers] et Ait Chaib.
2 - Ait Mansour : comprend les Ait Ali Ou Saïd, Ait Ali, Ait Ichou et Igourramen.
À un certain moment, les harratine d’El Hart étaient soumis à la suzeraineté des Ait Bou Iknifen (Ait Atta). Ils sont maintenant indépendants comme les Imazighen des autres ksour.
Le clan des Igourramen groupe les mourabitine des Ait Sidi Mouloud, dont la zaouia mère est dans le Draâ (Mezguita) et dont une autre succursale est aux Ait Youl des Arba Mia des Ait Seddrat du Dadès. Ces mourabitine sont au nombre de 30 feux. Moqadem : Sidi Mhamed ben Abderrezar.
À signaler la présence de quelques chorfa d’Ouezzan venus s’installer à El Hart il y a une vingtaine d’années (...). Tous les ans, quelques harratine vont à Ouezzan travailler dans les propriétés des chorfa.
El Hart n’Imziwane compte deux mosquées. Dans la plus grande, on trouve un tamaris de très grande taille
».

La poterie d’El Hart
Basée sur la production d’objets d’usage quotidien, surtout de pots à cuisine, la poterie d’El Hart est connue par l’utilisation d’un émail naturel d’une couleur ocre. Ils l’obtiennent en mêlant trois minérales : le quartz, le sulfure de plomb et un grès argileux qui contient oxyde de fer.
Comme tous les arts vivants, la poterie d’El Hart évolua avec le temps et s’adapta aux besoins du marché. Si auparavant ils fabriquaient surtout des pots et des jarres à eau, maintenant ils produisent plutôt des tagines, des cendriers, des chandeliers et même des foyers pour les feux de camping gaz.
Ces dernières années ils ont commencé aussi à fabriquer des carreaux de sol.
La poterie d’El Hart utilise un mélange de deux sortes d’argile à proportions égales. La première sorte provient de la rive de l’oued Todgha; elle est assez fine, avec une grande proportion de sable. La deuxième est amenée d’une colline proche du village et elle doive être bien tamisée pour éliminer les cailloux qu’elle contient.
On mélange l’argile dans une cuvette, on y ajoute de l’eau et on la laisse reposer pendant 15 minutes. En suite, on prend la boue produite à l’aide d’une boite et on le passe par un tamis. Après on le ramasse dans un espace qui lui est destiné, on le couvre avec un plastique et on le laisse reposer toute la nuit.
Le lendemain matin on ramasse cette boue qui a déjà absorbé une partie de l’eau et on le pétrit avec les pieds pendant un bon moment. Plus tard on le pétrit à nouveau avec les mains, juste avant de s’en servir.
L’élaboration des différents objets a lieu à l’aide d’un tour, situé dans un trou creusé au sol. Le potier, assis par terre, le fait bouger avec ses pieds. Une fois terminés, les objets doivent sécher à l’ombre pendant un minimum de trois jours avant de les mettre au four, le soleil étant trop fort et risquant de les fissurer. On les laisse au soleil juste un moment avant de les couvrir d’émail.
Pour fabriquer l’émail il faut moudre d’abord les trois minéraux à l’aide d’un moulin manuel fait en pierre. Une fois transformés en poudre, on dilue le mélange dans l’eau et on décante tout doucement ce mélange sur les objets déjà chauffés au soleil. Ensuite on les entasse dans le four.
La cuisson dure entre 5 et 8 heures, suivant les objets. Le four est alimenté de buissons secs ou bien de copeaux de bois, par une bouche inférieure. A l’intérieur, les objets restent séparés les uns des autres grâce aux supports en céramique et ils sont couverts avec des déchets de poterie vieille. On laisse toujours un petit objet à cuire au dessus d’une vieille poterie; quand il est cuit, le potier sait que celles de l’intérieur le sont aussi et il peut éteindre le feu. En suite il laisse refroidir un peu le four et sort les objets en séparant les supports, qui souvent laissent visibles ses trois empreintes caractéristiques.

sources :
- www.tinghironline.com/fr-poterie.htm
- www.hartealyamine.net/articles/10-tradition/1-la-poterie-d-el-hart-n-iaamine.html

Copyright

© 2008-2017 by Jacques Gandini. Tous droits réservés.

Si vous désirez reproduire nos textes ou nos photos, ayez l’amabilité de bien vouloir nous en demander l’autorisation. Dans tous les cas vous aurez obligation d’en indiquer l’origine.

Conception, réalisation, maintenance : Serre Éditeur, 23 rue de Roquebillière - F06359 Nice Cedex 4 (France)

Remerciements

Merci à Madame Balmigère, à Madame Decordier, à Monsieur Lafite, à Madame Kerhuel et à Pierre Katrakazos pour avoir accepté de mettre leurs archives familiales à disposition. Sauf indication contraire, les documents reproduits font partie des archives de l’auteur.