La vraie histoire de Jean Epinat et de la C.T.M.
Sur un site internet il est écrit qu'en septembre 1912, le sultan du Maroc Moulay Hafid, déchu et en exil, a effectué un séjour de trois semaines à Vichy pour une cure et que c'est à cette occasion qu'Epinat a rencontré pour la première fois le général Lyautey, Résident Général au Maroc. Ce site fait référence à un article de Noredine el Abassi paru le 14/07/2006 dans le journal marocain l'Economiste... mais aussi à un livre écrit en 1987 par le dénommé Félix Nataf et intitulé « Jean Epinat, un homme, une aventure au Maroc »... Pourquoi cette histoire de rencontre, à l'occasion d'une cure de Moulay Hafid, entre Jean Epinat et Lyautey circule-t-elle à travers des livres, articles de presse et sur le net ? Ce qui est certain c'est que c'est inexact... car il est facile de savoir que l'ancien sultan Moulay Hafid n'était pas en cure thermale à Vichy en septembre 1912 et que le général Lyautey n'a pas mis les pieds en France à la même époque... L'ancien sultan a été présent à Vichy dans une villa annexe de l'hôtel Majestic entre le 17 et 25 août 1912 où, de Vichy, il a été visiter Moulins et Clermont Ferrant. Il a ensuite continué son séjour touristique, par une visite de Versailles, Paris, Dieppe, Aix-les-Bains et Nice, et ceci jusqu'au 16 septembre, date où il a quitté la France à bord du bateau « Mongolie ». Pendant toute cette période le général Lyautey n'a pas quitté le Maroc... Jean Epinat, qui avait des attaches dans la région de Vichy, a du être un moment en contact avec Moulay Hafid car il fut chargé des déplacements du Sultan. Jean Epinat, homme entreprenant, a sûrement pris contact avec Lyautey (ou le contraire) avant ou après ce séjour du Sultan. Il est possible que cette histoire ait été un peu « brodée » !C'est Monsieur Linarè, préfet de l'Allier, qui supervisait toutes les opérations de déplacement et de sécurité de l'ancien sultan lors de son séjour à Vichy. Lorsqu'en août 1919 une convention est signée entre le représentant du Gouvernement Chérifien et le dénommé Jean Epinat, ce dernier ne représente pas la Compagnie Générale de Transports et de Tourisme au Maroc (dite CTM) mais la Société Générale de Transports Départementaux dont le siège était situé non pas à Vichy mais à Puteaux (Seine), quai national. Ce n'est qu'en novembre 1919 qu'apparait la Compagnie Générale de Transports et Tourisme au Maroc, qui bénéficie d'une rétrocession de la convention précitée. Les statuts de cette Société Anonyme ont été déposés chez Maître Lacoste, notaire à Cusset (Allier) le 22 novembre, puis il y a eu deux assemblées générales dont les délibérations ont été déposées chez Maître Lacoste à Vichy le 17 décembre 1919.
Outre Jean Epinat, demeurant à Vichy, figurent parmi les premiers administrateurs de la CTM : Noé Boyer, demeurant à Puteaux, Joseph Aletti, demeurant à Paris, Lyon Lévy, ingénieur civil demeurant à Paris, et Fernand Bouyonnet, demeurant à Toulouse.
Ensuite il a fallu expédier l'ensemble des actes aux tribunaux compétents du Maroc, notamment à celui de Casablanca où avait été domicilié le siège de la société, 66 rue Lassalle. Cette procédure a été assez longue puisqu'on trouve les inscriptions au Tribunal d'Instance de Casablanca seulement en mars/avril 1920. Ce ne sera que fin mai 1920 qu'une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la CTM, tenue à l'hôtel Claridg's, 74 Avenue des Champs-Elysées à Paris, « marocanise » la société : « une Société anonyme marocaine qui sera régie par les lois actuellement en vigueur dans l'étendue du Protectorat du Maroc ».
On ne sait pas quand exactement les premières lignes de transport routier de la CTM ont réellement commencé à fonctionner, mais on peut douter que ce soit en 1919, voire même en 1920. Pour preuve, en 1920 l'immeuble de la Place de France, où s'installera la CTM était toujours occupé par la firme anglaise African Eastern and Trade Corporation Limited, comme le montrent les cartes postales d'époque. Au début des années 1930, Jean Epinat, président de la Compagnie Générale de Transports et Tourisme au Maroc, est alors domicilié à Casablanca, Villa Le Riad, 9 rue de Franche-Comté. Comme pour beaucoup de personnes qui ont fait fortune au Maroc (Pagnon, Lafon, etc.), on n'a pas mal brodé sur leurs débuts (eux-même peut-être aussi). Ainsi pour Epinat, on racontait qu'il aurait débuté comme moniteur de vélo école sur les bords de l'Allier ?
En 1912, il avait des affaires à Vichy (transport, garage ?) et il est fort possible qu'il ait véhiculé le Sultan. L'article de Maurice Sarazin confirme qu'Epinat ne pouvait pas avoir rencontré Lyautey à Vichy mais par contre peut-être Mme Lyautey qui y était en séjour et qui a participé à quelques réceptions ou repas en l'honneur du Sultan qui lui a rendu une visite privée. Le Sultan aurait logé à la villa Majestic mise à disposition par Joseph Aletti, directeur général de l'hôtel (un des futurs adminisrateur de la CTM ), ou il aurait rencontré le ministre Regnault et le Général Brulard. En France, Jean Epinat et Jean Hennocque se sont ensuite partagés la concession, chacun ayant compétence dans des villes différentes. Jean Epinat couvrait les zones de Vichy et d'Aix les Bains en tant que représentant de la marque Delaunay-Belleville; il avait trois garages à Vichy : le Garage Palace, rue de Ballore, le Sporting Garage, rue d'Italie et le Garage du Catalpa, place du Catalpa.Débordes, dans son livre sur les places et rues de Vichy, donne quelques éléments sur la jeunesse d'Epinat, peu vérifiable; il y a peut-être aussi des erreurs mais c'est intéressant.
Vers 1900, il aurait fait un grand périple en Amérique, Chili, Argentine, Brésil et Guyane à la recherche d'une « fortune » à faire ?? puis retour un peu précipité en 1903. Il s'installe modestement à Vichy l'été et à Nice l'hiver; on parle de réparateur de vélos ou de moniteur de vélo-école, il aurait ouvert peut-être son premier garage : le garage de l'Europe où il aurait été à la fois ouvrier, contremaître et patron; il est certain qu'il a prospéré. Il se lie avec Joseph Aletti qu'il aurait rencontré à Nice et qui deviendra plus tard son associé. Aletti montera entre autres un empire hôtelier en Europe et construira pour le Centenaire de la France en Algérie, le célèbre hôtel Aletti d'Alger. Epinat, propriétaire de nombreuses sociétés de transport, est alors mandaté par le pouvoir français pour assurer les déplacements du sultan dans l’Hexagone. Lyautey, qui a vent de la nouvelle, s’empresse de proposer à Epinat de s’installer au Maroc. L’offre est alléchante : dans ce pays, de nombreux chantiers sont prévus dans les années qui suivent l’établissement du Protectorat. Epinat prend donc la route, direction le Maroc, pour tâter le pouls du marché. Mais la Première guerre mondiale éclate, et refroidit l’entrepreneur, qui met son projet en veilleuse. Sept ans plus tard, le résident général lance un appel d’offres pour l’exploitation des lignes de transports en commun au Maroc. En 1914, Epinat aurait été mobilisé dans un service automobile de l'Armée puis malade il sera affecté à Vichy à la direction de ses établissements travaillant pour la Défense nationale. En 1915, Epinat installe deux ateliers à Montluçon pour l'usinage d'obus. C'est après la guerre qu'il porte ses intérêts sur le Maroc qui avait besoin de développer des réseaux de communication modernes, il est certain qu'il connaissait beaucoup de gens influents dans les milieux d'affaires, les milieux administratifs et politiques Aletti et plus tard au Maroc : le groupe Mas, le Glaoui et bien d'autres; il était aussi lié avec le Général Boichut.
Le cahier des charges est strict, et exige la mise en place d’une flotte d’un minimum de cinquante véhicules, en un temps record de quatre mois, un véritable exploit en ces temps d’après-guerre. A l’aube du jour de l’expiration de l’adjudication, Epinat remporte finalement le marché, avec son associé Eugène Paris, ex-président de la commission permanente de réquisition du matériel automobile du ministère de la Guerre en France. Le 30 novembre 1919, la Compagnie générale de transport et de tourisme au Maroc, qui enfantera l’actuelle CTM, voit le jour. Un cargo battant pavillon grec transporte alors la marchandise de France jusqu’à Casablanca, Mohammedia et El Jadida où des chaînes de montage travaillent jour et nuit pour assembler les premiers cars. « Ce jour-là, les véhicules remontés pouvaient défiler dans les rues de Casablanca, en empruntant le boulevard Poëmirau (actuel boulevard Hassan Seghir, ndlr) et la place de France (actuelle place Mohammed V, ndlr) », raconte Mohamed Sijilmassi dans L’Epopée des transports au Maroc.
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