Commandant Balmigère

L'épidémie de typhus 1936-37

Mis à jour : vendredi 3 janvier 2014 15:08

L'hiver 1936-37, une terrifiante épidémie de typhus ravagea la région et ramena vers Ouarzazate des familles entières. Pour la plupart, ces gens avaient quitté leurs ksour pour accourir vers le dispensaire du poste où ils espéraient trouver le toubib et se faire soigner. Mais, nombre d’entre eux, qui avaient marché pendant des jours, - la marche à pied restait alors, avec l’âne et le mulet pour les plus riches, le seul moyen de transport des populations rurales - mouraient d’épuisement, minée par la terrible fièvre, avant d’avoir pu atteindre Ouarzazate. L’ampleur et la foudroyante propagation de l’épidémie dépassèrent  les moyens de l’époque.

Inexplicablement, les enfants étaient souvent épargnés par cette maladie. Ainsi, ils restaient seuls, abandonnés sur les pistes, auprès de leurs parents morts ou moribonds. Le bureau des A.I. de Ouarzazate recueillit ainsi, ramenés par les goumiers et les militaires qui patrouillaient pour enterrer les cadavres, plus de 60 enfants, non réclamés, dont on ne savait rien. Il fallut en hâte les loger, les vêtir, les nourrir et, ultérieurement... prévoir de les instruire. Aussi, créa-t-on, à l’initiative du commandant Balmigère, en secours de première urgence, le “Centre des miséreux” de Tajda, de l’autre côté de l’oued, puis les jeunes enfants furent ensuite ramenés dans des bâtiments, devenus “orphelinat mixte”, situés aux abords des bureaux du Cercle.

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Le centre des miséreux de Tadja
Q
ui était en fait le centre de quarantaine par où passaient les enfants récupérés
lors de l'épidémie de typhus avant d'être transférés à l'orphelinat de Ouarzazate.

Archives Balmigère


Balmigere_Tadja_


Visite d'officiers supérieurs à Tadja

Archives Decordier
Le commandant Balmigère, qui avait déjà contracté au cours de l’hiver 1935-36 la typhoïde là Zagora, fut, lui aussi atteint du typhus un an plus tard peu de temps après son arrivée à Ouarzazate. Lorsque vint son tour d’être vacciné, il ne restait plus à l’infirmerie qu’une ampoule, après les vaccinations massives auxquelles on avait procédé les semaines précédentes; elle lui était réservée. Le vaccin n’évitait pas la contagion, mais diminuait du moins, considérablement les ravages causés par le typhus. Le commandant demanda alors au toubib de vacciner à sa place, la dernière arrivée au poste, une femme inconnue arrivée de la vallée du Drâa avec son nouveau-né dans les bras et visiblement harassée. Cette femme et Balmigère furent, bien entendu, atteints tous deux quelque temps après. La femme fut assez facilement sauvée mais l’officier faillit mourir. Une fois encore sa robuste constitution qui l’avait sauvé de la typhoïde à Zagora lui permit d’éviter le pire.

Papa appela sa protégée, celle pour qui, il avait failli mourir, “Tachamout”. Ce terme affectueux et humoristique la faisait rire. peut-être évoquait-il la résistance inouïe de cette femme, semblable en cela à l’étonnant animal qu’est le chameau, animal quasiment mythique pour les gens du Sud. Tachamout, sans famille, sans ressource, fut donc aussi recueillie avec son bébé après sa guérison au Centre de Tajda. Proposée aux cuisine, elle put, par la suite, élever tranquillement son enfant à l’orphelinat, tout en y travaillant.

Arkia
La belle Arkïa, la miraculée

Arkia fut une des figures de femmes marquante de mon enfance, par son sourire éclatant, sa force, sa beauté et l’affection qu’elle me vouait, en réciprocité à ce que je ressentais pour elle.
Un autre miracle, Arkia, la belle parmi les belles, superbe type de noire qui servira plus tard de modèle aux artistes passant à Ouarzazate, dont les ancêtres venaient probablement du Soudan, avait été retrouvée mourante sur la route de Zagora auprès de ses parents morts. Elle devait avoir approximativement 18 ans en 1936. Après sa résurrection spectaculaire, elle se vit confier la surveillance des filles, au pensionnat et à l’atelier de l’orphelinat, pour l’ascendant qu’elle exerçait, avec une autorité innée et hautaine, qui lui était propre. Il fallait bien trouver une forte personnalité pour se faire obéir des nombreuses fillettes de l’orphelinat.
Anne Barthélémy-Balmigère 1970


Arkia_et_son_enfant._Orphelins_devant_les_A.I

Mr Perrin l'instituteur de l'orphelinat,
avec Arkia tenant son enfant par la main
lors d'une réception au Cercle.


L'orphelinat

L’orphelinat fonctionna avec son pensionnat, ses ateliers et son école, sous la surveillance attentive voir passionnée du commandant Balmigère, dont cet établissement était la création. Il avait fait venir un bijoutier chleuh d’Agdz qui installât l’atelier pour les garçons. Les filles cardaient, filaient, tissaient la laine, et exécutaient les traditionnels tapis, ou des tricots pour les rudes hivers. Quelques-unes cousaient et brodaient.

Ces ateliers de l’orphelinat fonctionnèrent si bien qu’un artisanat d’art s’installa à Ouarzazate. Le commandant fit construite, à 50 mètres de son bureau, une “Mahakma”, salle carrée au toit maraboutique blanc, qui tranchait sur l’ocre rouge des murs, et attiraient l’attention. Cette salle abrita pendant de nombreuses années l’exposition permanente des objets fabriqués par les jeunes artisans de l’orphelinat : poteries, objets de cuir, timbales et cendriers en cuivre ou argent, tissages des filles, tapis, tricots, couvertures tissées. Leur vente venait aider la caisse de l’orphelinat.

Orphelinat_Balmigere

Orphelinat_Balmigere_et_Arkiya__gauche
L'orphelinat de Ouarzazate avec une distribution de djellabas ou de burnous.

Archives Balmigère


A l’école de l’orphelinat, on apprenait évidemment à lire, à écrire et à compter aux enfants et une école coranique fonctionnait parallèlement pour eux. Ainsi, munis de cette base d’enseignement, à la fois pratique et scolaire, les garçons purent-ils songer, dès l’âge de 15 ans, à s’émanciper, et de leur côté, les filles, avec une petite dot, chercher un mari.

1942. Le résidant général Nogès, accompagné par le général Patton
et le général Martin, visitent l'école de l'orphelinat.

Patton_classe_copy

A noter, toujours présente sur le mur,
la photo du maréchal Pétain accompagnant celle de Mohamed V.
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Pour les orphelins, l’épouse du commandant, ses filles et quelques femmes d’officiers ou de civils, volontaires, aidées des orphelines qui savaient coudre, confectionnaient régulièrement des quantités impressionnantes de chemises en coton. Chemises-gandouras décentes qui les habillaient pendant l’été. Quelle fierté de les voir tous habillés de propre et de neuf ! L’hygiène corporelle était une perpétuelle préoccupation pour eux et pour l’encadrement, dans ce pays presque sans eau.
Toutes ces dames volontaires aidaient aussi pour les soins des yeux, ces fameuses gouttes à mettre, préventives ou curatives - autre préoccupation obsessionnelle - pour lutter contre les maladies ophtalmiques, si fréquentes, dans le Sud, transmises par les agressives et innombrables mouches, que favorisaient les fortes chaleurs.

Lorsque le commandant Balmigère n’était pas en tournée dans les bleds administrés par le Cercle, il faisait immanquablement le tour par l’orphelinat en revenant le soir de son bureau pour surveiller, lui-même, les repas et le bon fonctionnement du quotidien. Les plaisanteries et les rires fusaient alors; pour Balmigère, fin arabisant, aucune nuance de la langue chleuh, si prompte à l’ironie, ne lui échappait.

Le Glaoui défend ses administrés

Ces années-là le typhus fit des ravages dans la vallée du Drâa. Des centaines d’enfants se rencontraient sur les pistes près des corps de leurs parents décédés de cette terrible épidémie.Tous ramenés au centre de quarantaine qu’avait installé à Tajda le commandant Balmigère, chef de Cercle, et où le manque de personnel pour s’occuper d’eux se faisait cruellement sentir. Surtout que le médecin local et ses infirmiers s’efforçaient de leur côté de tout faire pour enrayer cette épidémie qui avait surtout prise sur les adultes.

Le Glaoui, pacha de Marrakech, installé momentanément dans sa kasbah de Telouet et informé de la situation concernant les douars du Sud, imagina un stratagème un tant soit peu machiavélique.
Ayant appris que des officiers devait partir de Marrakech pour une tournée d’inspection de la situation dans le Cercle de Ouarzazate, il ordonna à ces gardes que, lors de leur passage à la barrière de contrôle d’accès en zone d’insécurité sur la route du Tichka, ils soient arrêtés avec toutes les bonnes manières dues à leur rang et informés que le Glaoui, présent à Telouet, souhaitait les inviter dans sa kasbah pour une diffa et à y passer la nuit avant de reprendre le lendemain la piste pour Ouarzazate. La lendemain l’excuse d’une chasse dans la région les retint encore et les jours jours suivants de nouvelles raisons furent invoqués pour les retenir, soit cinq jours au total car on ne refusait rien au Glaoui.
Pendant qu’ils étaient installés au mieux et prenaient leurs aises à Telouet, le Glaoui, qui avait relevé leurs noms et leurs grades, avait envoyé le jour même de leur arrivée un messager au grand Etat-Major de l’Armée à Marrakech pour leur annoncer que lui, Si Thami el Glaoui, responsable des Berbères de la zone Sud, retiendrait prisonniers ces deux officiers tant que les autorités du Protectorat ne se déciderait pas à prendre en urgence les mesures nécessaires pour intervenir sur place contre cette épidémie qui commençait à créer de sérieux problèmes sur son territoire.
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1937. Vaccination du goum


Archives Decordier

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Comme le raconta plus tard Dimitri à son fils Pierre, le résultat ne se fit pas attendre, un avion militaire fut affrété, suivi d’autres dans les jours suivants et Ouarzazate eut la surprise de voir arriver des médecins et des infirmières de la Croix Rouge, tous en blouse blanche, avec le matériel adéquat, d’abord pour se protéger, puis pour intervenir sur place, principalement auprès des équipes déjà en place dans la vallée du Drâa et pour s’occuper des enfants au centre de quarantaine de Tajda.


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Les photos jointes, font foi de la présence d’une de ces infirmières et d'un médecin parmi les orphelins qui viennent d’y être recueillis.

 


L'information provient de Pierre Katrakazos, à qui, Dimitri son père, avait narré l'anecdote.
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A l'entrée de Tadja