La route du Tichka

Igherm n'Ougdal et Agouim

Mis à jour : mercredi 25 novembre 2015 17:58
Le grenier collectif fortifié d'Igherm n'Ougdal

Le grenier collectif est un édifice détaché de l'habitat villageois où les Berbères emmagasinent leurs récoltes et d'autres biens. Connus sous le nom d'ighrem (agadir dans l'ouest de l’Atlas), certains greniers dominent le village, d'autres sont établis au sommet d'un piton rocheux à l'écart de tout habitat. Leur origine reste tout à fait obscure. Le droit coutumier les dates du XVIe siècle, mais, de par son caractère sacré, l'ighrem, a peut-être une origine antérieure à l'Islam.
Les conditions naturelles d'origine climatique et l'économie du pays ont imposé la nécessité de stocker pour les périodes de disette. A cette nécessité s'est ajouté celle de parer aux ravages de la guerre et au danger permanent des pillages. Souvent un Ighrem est aussi un bâtiment fortifié, pourvu de tours et dressé sur un lieu abrupt. une seule entrée, en chicane ou fortifiée, permet de pénétrer à l'intérieur de l'enclos. Il n'y a nulle autre ouverture vers l'extérieur, si ce n'est les fentes d'aération.
L'ighrem étant sacré à l'égal d'une mosquée, nulle action mauvaise, vol, mensonge, adultère ou meurtre ne peut être commis dans le magasin. Il est inviolable. C'est aussi un lieu d'asile.
Le grenier est un établissement de la tribu où chaque chef de famille est propriétaire d'une ou plusieurs cases individuelles dont il posséde la clef. Chaque famille, qui a construit sa case, est responsable de son entretien. Les parties communes sont à la charge de la collectivité, construites et entretenues par corvées. Les propriétaires choisissent un gardien ou portier, attaché en permanence à l'édifice dont ils assurent la subsistance. Ce gardien surveille les allées et venues des usagers et en interdit l'accès aux étrangers.
Le grenier présente une allée médiane étroite, de chaque côté de laquelle sont alignées sur plusieurs étages des cases de mêmes dimensions. Toutes les cases ouvrent vers l'intérieur du magasin et elles sont closes par des portillons de bois.
Les dépendances varient en nombre. Outre la loge du gardien, il peut y avoir une pièce pour d'autres personnes, un moulin, une forge, une écurie-étable, une chambre de réunion des notables et parfois même une petite mosquée. Un grand Ighrem comporte plusieurs citernes.

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L'igherm en 1931

La construction du grenier d'Ighrem n'Ougdal, (ougdal se traduit par prairie, aire de pâturage), date de la fin du XVIIe siècle. Il était également utilisé par les villages avoisinants (Alezdaz, Taourirt, H'lou, Melladi) pour y conserver des denrées périssables (orge, blé, maïs, laine, beurre, miel, noix, amandes, légumes sèches : navets et carottes...) ainsi que des archives et objets précieux (bijoux, etc.). Il y a 84 cases sans compter celles des tours au nombre de 12, qui servent pour la surveillance.
Le grenier était géré par le conseil du village dont les membres devaient être âgés de plus de quarante ans et où tous les lignages étaient représentés . Ce conseil jouait également le rôle de témoin lors des différentes transactions et s'occupait également de l'organisation des travaux collectifs (entretien du grenier, de bassins d'irrigation et canalisations, chemins de montagne, gestion des pâturages, etc.) Les réunions du conseil du village se tenaient deux fois par an lors des fêtes religieuses et tous les vendredis après-midi pour la gestion des conflits entre villages.
Les prélèvements sur les récoltes étaient effectués avant l'entreposage dans les cases. L'opération s'effectuait dans le bac qui se trouvait au centre du grenier. Il y avait quatre types de prélèvement par année: Le zakat imposé par la religion musulmane au profit de la population nécessiteuse représente 1/10 de l'ensemble de la récolte; la part de l'imam de la mosquée est d'une ration (environ 1 kg) d'une des récoltes pour chaque couple de jeunes mariés de chaque famille; la part du gardien est égale à celle de l'imam; la part des trois marabouts.
Source : Mohamed Boussalh et Mustapha Jlok (CERKAS, Ouarzazate)
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Aouach à Igherm n'Ougdal, photo Belin

La cantine de Mme Drouin

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Témoignages d’anciens de la mine de Bou Tazoult (Imini)
Source : http://marrakechetnous.canalblog.com

"La dernière fois, j'ai passé beaucoup de temps à revisiter l'ensemble de l'auberge avec le nouveau gérant. Le poêle est toujours en place, les chambres dans la cour sont prêtes à recevoir des visiteurs; il ne manque que Mme Drouin dont le portrait trône au-dessus des étagères du bar. L'institution du dimanche conserve son aura.
Je suis bien content de voir ces photos très réalistes de Mme Drouin, qui ont l'avantage de mieux fixer ma mémoire défaillante de sexagénaire. Mais là nous retournons à notre image d'enfants, à nos souvenirs de garçons en culottes courtes, de petites filles en robe légère du dimanche (après la messe à Bou Tazoult), à nos jeux dans la cours de l'auberge. Des printemps fleuris, des senteurs de fleurs et d'amandiers et de figuiers auxquelles se mêlaient les odeurs de la cuisine tout proche. Des après-midi de course poursuite, cette ambiance douce France à l'étranger, mais étions-nous vraiment à l'étranger ? Nous qui vivions chaque jour en osmose avec ce Maroc quotidien.
Il y a longtemps que je n'avais pas pris le temps d'écrire, mais le sujet méritait une intervention respectueuse envers Mme Drouin, l'enchanteresse d'Igherm."
Témoignage de Jean Yves

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"Les souvenirs sur Mme Drouin me ravissent : je me souviens du rat palmiste, plus beau qu'un vrai rat, et à mon avis plus proche de l'écureuil ; son nom m'a toujours intriguée, mais écureuil-palmiste, ça le fait pas hein ? Mais aussi des plats énormes de petits gris avec une sauce à se lécher les doigts."
Témoignage de de Danuta Pawlaki
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"Je connaissais Mme Drouin d'Igherm, car mes parents allaient de temps à autre passer le dimanche à la cantine d'Igherm et je me rappelle très bien de la cour où elle avait une cage avec des écureuils palmistes; j'avais été malade et mes parents m'avaient envoyée en pension chez Mme Drouin pour changer d'air pendant quelques semaines (c'était en 1962). le Père Norbert venait me rendre visite à Igherm et ensuite faisait son rapport à mes parents à Bou-Tazoult."
Témoignage Christiane Fournier
Les photos concernant "Mémé" Drouin sont de de Danuta Pawlaki
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Chez "Mimi" dans les années 90

Agouim, le Père Norbert et le Frère André

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A.
1931. Le douar Agouim

B.
1956. Le dispensaire et le centre de formation d'Agouim


Le dispensaire et le centre de formation d’Agouim
Source: http://timkkit2008.canalblog.com
Au travers du dispensaire d’Agouim, le Père Norbert a contribué à la santé des habitants de la vallée. Avec les sœurs franciscaines, il a réussi la création d’ateliers d’apprentissage pour les jeunes filles dans les techniques de fabrication des tapis et de la broderie. Puis pour les jeunes voulant se former à la menuiserie et à l’électricité il a contribué à créer un centre d'apprentissage avec l'aide du Frère André. Il a permis a beaucoup de Marocaines et de Marocains d’être soignés et d’avoir un métier. Par son engagement dans la communauté catholique de Bou Tazoult, notamment auprès des jeunes, mais aussi par son soutien moral auprès des adultes, son souvenir est profondément gravé dans le cœurs des anciens Iminiens.
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Homélie prononcée le 19 mars 1979 par l'Archevêque de Rabat,
lors des obsèques du Père Norbert décédé le 17 mars.

Le Père Jean Chabbert, qui fut archevêque de Rabat entre janvier 1968 et juillet 1982, était entré comme le Père Norbert dans l'ordre des Franciscains. Il se déplaça spécialement depuis Rabat jusqu'à Toulouse à cette occasion. Ils avaient à peu près le même âge. Le Père Norbert était né le 7 novembre 1918, l'archevêque en 1920. Cette homélie permet de mieux connaître une personnalité importante dans l'histoire de la région et des mines d’Imini et de Bou Tazoult, puisque le Père Norbert s’occupa des familles de mineurs et que certains Marocains l'appelaient le Marabout.


Sa vocation. C'est en février 1938, alors que nous étions au Collège franciscain de Brive, que s'est précisée d'une façon quasi définitive l'orientation de vie d'André Dubernard, notre Frère Norbert. Nous venions d'apprendre la mort du Père Charles-André Poissonnier, emporté par le typhus, alors qu'il soignait à Tazert les pauvres atteints par cette horrible maladie.
Depuis son arrivée au collège de Brive, le 28 septembre 1936, venant du petit séminaire d'Agen, nous avions rapidement sympathisé, l'un et l'autre, et d'emblée nous nous étions orienté sur le Maroc, stimulés par la lecture de la vie du Père Charles de Foucauld. La spiritualité de Nazareth nous animait et nous nous demandions si nous pourrions la réaliser parmi nos frères franciscains au Maroc.
La vie et la mort du Père Charles-André à Tazert, ermite et infirmier à la fois, furent pour nous la révélation qu'il y avait, désormais, une manière franciscaine de vivre l'idéal du Père de Foucauld. Pour le Frère Norbert, le choix fut définitivement fait et rien ne put empêcher sa réalisation, avec cette volonté inébranlable qui le caractérisa toute sa vie. La route était tracée, en laquelle il discernait la Volonté de Dieu, et tout devait plier devant son accomplissement. Tout plia, en effet, et tout y concourut désormais.
Agouim fut, dans la droite ligne de Tazert, la preuve irréfutable de l'objectif entrevu au Collège de Brive. Voilà l'homme ! Cette volonté opiniâtre dépassant tous les obstacles, enracinée dans la conviction que Dieu voulait ça, fit du Frère Norbert un fondateur, un pionnier. Que ce soit ici, dans le quartier de St-Cyprien (Toulouse) avec les francs-pionniers, la pré-J.O.C. d'alors, avant son départ au Maroc, que ce soit à Marrakech avec les Compagnons Marrakchis, que ce soit à Agouim, le Frère Norbert alla de l'avant, créa, mit en place, suscita la sympathie, entraînant avec lui des collaborateurs.
L'oeuvre de sa vie. C'est à Agouim qu'il donna toute sa mesure. Après deux ans de présence à Tazert, il arriva dans le Sud Marocain le 13 avril 1953, avec le Frère Salvator Jeannin, afin de desservir les chrétiens qui travaillaient dans les mines du Sud. Il n'eut alors, de cesse de réaliser son rêve. Il choisit Agouim, un des villages les plus pauvres du Sud, à 1700 mètres d'altitude, non loin du fameux col du Tichka. Et alors que les autorités françaises du Protectorat étaient contre son projet, faisant tout pour l'empêcher et que l'autorité religieuse observait une neutralité bienveillante, seul avec le Frère Salvator, il construit un dispensaire, une chapelle et une maison. Le 12 mars 1956 il inaugura tout cet ensemble suscitant l'admiration de tous et en particulier de l'évêque d'alors qui n'en revenait pas et qui à partir de ce moment-là le soutint fermement.
Les malades ne cessant d'affluer au dispensaire, il se fait infirmier aidé du Frère Salvator mais il n'y a pas que des malades. Village déshérité, Agouim sollicite son zèle et petit à petit pour répondre aux besoins des populations et dans un souci de développement, il lance avec le Frère André, un centre d'apprentissage de menuiserie, d'où sont sortis une cinquantaine de jeunes, ayant tous maintenant un travail au Maroc, parce que qualifiés dans leur métier. Et avec les Sœurs franciscaines de Marie, dont Sœur Myriam, il créa plus récemment un centre de formation féminine où sont actuellement formées plus de 80 filles de la région. Impossible de l'arrêter, tant son souci des pauvres le hantait et son dynamisme l'emportait. Voilà rapidement résumée l'oeuvre de sa vie.
L'homme de Dieu. Ce fut un homme dans toute l'acception de ce mot. Volontaire donc opiniâtre, résolu, rude certaines fois. Il fallait que ça marche, il entraînait les collaborateurs, les essoufflait parfois. Il savait soulever autour de lui de multiples sympathies, toujours prêt à l'action, ne s'embarrassant pas d'arguties théologiques il allait droit au but, dépassant toute critique, capable de faire plier la volonté de Dieu à la réalisation de ses desseins. Un homme, oui et un véritable!
Volontiers taquin avec ses frères et sœurs franciscaines, il avait le geste délicat et savait faire plaisir. Sous une carapace rugueuse, il y avait une très grande sensibilité, celle même qui le rendit si attentif à la misère de ses frères marocains.
Cet homme avait un cœur, en cela il était bien fils de St François. Cet homme était aussi un homme de Dieu. Oh certes, il n'avait pas le tempérament à veiller des heures en prière à la Chapelle. Sa mystique passait à travers son action.
Il ne s'embarquait pas dans de longues dissertations spirituelles. Mais Dieu l'animait lorsqu'il soignait les maladies ou suscitait la promotion des jeunes de la région.
Dieu l'animait lorsqu'il défendait les ouvriers des mines d'Imini, de Bou-Azzer, de Bou Skour.
Dieu l'animait lorsqu'il poussait les chrétiens du Sud à l'amitié avec les Marocains.
Dieu l'animait au cœur de la petite fraternité franciscaine où frères et sœurs travaillent sans relâche pour et avec les pauvres du pays.
Dieu l'animait lorsqu'il envisageait de mettre en place ces derniers temps une coopérative pour que les gens du coin prennent en main leur sort et assurent un jour la relève.
C'était Dieu qui le poussait, l'Amour de Dieu le pressait.
Deux indices de sa profondeur spirituelle : Tous les jours il méditait la Bible en arabe littéraire et tous les jours il disait le Rosaire.
- L'Évangile dans la langue religieuse du pays.
- Marie dont la maternité virginale est reconnue et vénérée par le Coran.
Voilà les points d'appui de l'homme de Dieu que fut le Père Norbert.

Le Frère André
Source : http://timkkit2008.canalblog.com
André-Marie Ledru est né le 21 février 1926 à Reims. Adolescent il est en contact avec le Frère franciscain Charles-Henri Poissonnier, fondateur du dispensaire de Tazert qui lutte contre le typhus, alors qu'une épidémie fait des ravages dans la population marocaine. Le fondateur du dispensaire de Tazert mourra lui-même du typhus en 1938 à 40 ans.
Entré à Rabat comme frère franciscain en novembre 1947, le Frère André rejoint le Père Norbert en 1961 à la fraternité d’Agouim avec un diplôme d'infirmier. En 1963-64, il se forme en France en ébénisterie et menuiserie afin d’ajouter cette formation pour les jeunes gens à celles déjà existantes pour les jeunes filles.
A la mort du Père Norbert, Sœur Lucie et le Père André continue l’œuvre des franciscains à Agouim. Sœur Lucie n’hésitait pas à faire visiter la pièce de consultation du dispensaire. Elle y voyait environ mille malades par mois, principalement des femmes enceintes et des nourrissons. Il lui était courant de suivre des femmes qui en étaient à leur quinzième ou seizième enfants. Bien souvent, par manque d'hygiène et de moyen financier, seul 3 ou 4 survivaient. Parallèlement au dispensaire, le Père André œuvrait toujours à l’école de menuiserie ébénisterie, sortant toujours 10 jeunes tous les trois ans de la misère.
En 2002, le dispensaire ne fonctionnait plus à Agouim, l'hôpital local avait pris le relais. Seul subsistait le Centre de Formation Professionnelle car les sœurs qui tenaient la maison étaient toutes parties. Pourtant le Père André et le Frère Louis y habitaient encore. Le centre avait toujours pour objectif d’enseigner le métier du bois aux jeunes garçons de familles défavorisées. L’enseignement autour des tapis et des broderies se poursuivait également.
Le 22 décembre 2007, le Père André est décédé à Marrakech.