Documents d'époque

Le directeur honoraire du SAI

Mis à jour : jeudi 4 août 2011 15:49
Prosper Ricard, 1874 - 1952
En partie d’après un texte de Muriel Girard

 

Dès les débuts du Protectorat français au Maroc, la question de la sauvegarde de l’artisanat se pose. Celui-ci est considéré comme d’autant plus fragile qu’il est désormais au contact de la puissance industrielle naissante, responsable de changements économiques et sociaux d’envergure. Ainsi, l’enquête ordonnée en 1913 par Lyautey inaugure une politique dont le but est de rénover, ressusciter, revitaliser les Arts indigènes.
Les traces matérielles des Arts indigènes sont collectées, triées et inventoriées dans des musées. Au-delà, les collections d’objets anciens ont pour fonction de servir de modèle afin de ramener “les artisans dans la voie du bon sens et des saines traditions”. De cette politique de rénovation de l’artisanat Prosper Ricard, chef du Service des Arts indigènes (1920-1935), puis directeur honoraire, fut le maître d’œuvre et le sauveteur majeur d’un art traditionnel marocain.
Instituteur de formation, diplômé d’arabe et de kabyle, Ricard est en poste en Algérie depuis 1900. Directeur des cours d’apprentissage d’indigènes à Tlemcen et Oran de 1900 à 1909, il est, par la suite de 1909 à 1914, Inspecteur de l’Enseignement artistique et industriel dans les écoles d’indigènes de l’Algérie. Lyautey qui l’avait rencontré en Algérie et avait été enthousiasmé par son travail décide alors d’associer Ricard à son projet.
En 1913, Lyautey, le charge d’une mission sur l’organisation de l’enseignement des artisans indigènes. En 1915, se tient la première exposition franco-marocaine à Casablanca. Le contraste entre les objets anciens et nouveaux, dont la “déchéance est visible à tout point de vue”, va définitivement déterminer la politique de rénovation de l’artisanat. À cette fin, les musées de Rabat et de Fès sont créés, les objets collectés devant servir de modèles aux artisans. Parallèlement, deux inspections des Arts indigènes sont fondées à Rabat et à Fès, cette dernière étant confiée à Prosper Ricard. À Rabat, des ateliers d’État sont créés, où les matières premières sont achetées par les autorités, qui paient aussi les artisans. Le système Ricard tenté à Fès implique au contraire de rechercher les meilleurs artisans de chaque corporation et de les laisser dans leurs échoppes; on leur passe commandes, d’après des modèles qui leurs sont fournis et avec des prix arrêtés d’avance.
L’Office des industries d’Art indigène, fondé en 1918, a pour mission de consolider l’action de rénovation. En 1920, la méthode inaugurée à Fès est préférée aux ateliers d’État, celle-ci se montrant moins coûteuse et, surtout, favorisant l’initiative privée. À cette occasion, l’Office est transformé en Service des Arts indigènes sous la direction de Ricard. Sa mission est de développer les musées “de manière à faciliter partout la rééducation des artisans adultes, et l’initiation aux arts du pays des générations nouvelles, de recenser les artisans capables, d’établir la documentation artistique et nécessaire à la rénovation générale, de profiter des formalités de la délivrance de l’estampille d’État pour orienter la fabrication des tapis marocains vers les méthodes plus conformes à l’intérêt artistique marocain bien compris, enfin de participer au Maroc et à l’étranger, aux expositions de l’art indigène”.
Afin de développer les connaissances, des recherches ethnographiques, en grande partie publiées dans la revue Hespéris, abordent les dimensions historique, technique et sociale de l’artisanat. Les agents du Protectorat sont ainsi à l’origine d’une riche production scientifique, ayant pour but de servir la politique publique. Deux nouveaux musées sont créés, à Meknès en 1926 et à Marrakech en 1928. Afin de rendre plus opérante la “rééducation” des artisans, un cabinet de dessin est créé. Des modèles, des photos, des figures “des formes les plus pures du passé” sont collectionnés. Ils sont ensuite distribués aux artisans et à l’industrie privée, auxquels il est demandé de se conformer aux principes de la tradition.
En 1928, à la demande du Résident général M. Th. Steeg, la méthode de rénovation est étendue jusqu’au sein des tribus de la plaine et de la montagne et à la musique. La période 1935-1952 est particulièrement intéressante pour saisir la place et le rôle que Ricard, désormais directeur honoraire du SAI, s’attribue et ceux que les agents du Protectorat lui confèrent. En même temps que conseiller auprès de cet organisme marocain, il poursuit son travail de conseiller en Algérie et en Tunisie. Signe de reconnaissance de la part de ses pairs, il est présenté comme le véritable apôtre de la rénovation des Arts traditionnels dans les trois pays.
Cette politique de restauration de l’artisanat est appliquée à la reliure, à la poterie et à la céramique. Toutefois, c’est l’industrie du tapis qui reste la principale préoccupation de Prosper Ricard. Les tapis sont jugés dignes d’intérêt mais de mauvaise fabrication, de couleurs trop criardes et de mauvais goût. Leur esthétique est donc reformulée. Des modèles anciens dûment sélectionnés mais aussi des motifs et arrangements nouveaux servent à la constitution du Corpus. Les tapis sont en outre adaptés à des proportions plus commerciales, aptes à prendre place dans les intérieurs européens. Une distinction est établie entre les tapis citadins et berbères selon des centres de production spécifiques. Mammeri, artiste et technicien d’origine kabyle, et inspecteur régional à Marrakech, aurait eu pour mission de remplacer dans la région du Sud, le décor citadin à influence florale par un style géométrique berbère, ce que certains ont interprèté comme la volonté de bouter l’Arabe hors du pays des Glaouas. Dès 1915, Prosper Ricard avait mentionné que si les tapis bédouins ne jouissaient pas toujours, auprès des citadins, de toute la considération qu’ils méritaient, il estimait qu’ils avaient leur valeur propre.
Enfin, la croissance des manufactures européennes, produtrice de contrefaçons, qui modifent les normes et doublent les types traditionnels de types bâtards risquent vite de discréditer et ruiner de l’industrie. Le SAI tente alors d’orienter ces évolutions. Aux arguments de Ricard, les industriels opposent des impératifs économiques et la nécessité de diversifier la production. En 1924, une campagne est lancée par les industriels contre l’influence néfaste des Arts indigènes, afin que l’estampille soit attribuée à des modèles ne correspondant pas à ceux du Corpus. À ces attaques, Ricard répond que l’action du SAI se répercutera sur l’industrie privée; que le SAI a fait préparer, en dehors du Corpus, toute une documentation qui a été gracieusement mis à disposition du public, mais que les industriels ont méprisé; il insiste sur le fait qu’en matière de tapis, art et industrie peuvent ne faire qu’un mais il finit par se montrer plus flexible. Une commission du Corpus est créée afin d’y intégrer de nouveaux modèles susceptibles de recevoir l’estampille. De même, à plusieurs reprises, Ricard est amené à accorder l’estampille à des lots de tapis non conformes, sous peine de ruiner l’industrie.
Les actions pour promouvoir les arts indigènes et, au-delà, la politique du Service des Arts indigènes revêtirent diverses formes. La mise en scène de l’artisanat s’orchestra aussi bien dans les foires que dans les discours, qu’ils aient pour finalité la transmission du savoir et du patrimoine ou l’éducation du touriste. Les arts indigènes furent mis en valeur lors des foires au Maroc et dans les expositions à l’étranger. Celles-ci avaient pour but tant la promotion des produits marocains que la conquête de nouveaux marchés. Là encore, Ricard se posa en garant de la tradition.
Lors de communications ou pour des articles de vulgarisation, Ricard glorifia par ailleurs l’action de Lyautey et démontra la réussite de la politique de rénovation de l’artisanat. Enfin la radio fut un média dans lequel Ricard s’investit particulièrement. De 1945 à 1951, les “Causeries de Prosper Ricard”, furent diffusées sur Radio-Maroc. Dédiées en partie aux arts indigènes, elles s’attachaient à rappeler la politique de rénovation de l’artisanat.
Un trait frappant de Ricard est l’ambiguïté de sa relation au tourisme. Toujours suivant cette distinction entre le véritable et le factice, il établit une différenciation très nette entre les vrais et les faux touristes. Ainsi, certains discours portèrent sur la condamnation du touriste, qui souvent, se rue, avec une parfaite inconscience, et parfois une inqualifiable ignorance, sur des articles de pacotille, en encourageant la fabrication d’une camelote du plus mauvais goût. Au contraire, le voyageur, le touriste “cultivé”, était le seul qui l’intéressait. Dès lors, ce fut pour lui un devoir d’aider le touriste à bien comprendre le Maroc. Dès 1917, Ricard avait mis en avant la nécessité de développer les capacités hôtelières. Il s’illustra enfin dans la rédaction de guides touristiques, en particulier les Guides Bleus (Hachette éditeur) de 1919 à 1952.


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Ses principales publications concernant le Maroc
Les dynasties marocaines, en dix tableaux et un graphique, 1919
Note sur la mosquée de Tinmal, 1923
Actes du 3e Congrès de l'Institut des Hautes Études marocaines. 1922
Art de la reliure et de la dorure. Texte arabe, accompagné d'un index de termes techniques, 1925
Le Batik berbère, 1925
Tapis berbères des Ait Ighezrane (Moyen Atlas marocain), 1926
Gâteaux berbères, 1926
Essai d'action sur la musique et le théâtre populaire marocains,Service des arts indigènes 1928
Dentelles algériennes et marocaines, 1928
Les Arts marocains et leur rénovation, 1930
Note sur la découverte de spécimens de céramique marocaine du moyen âge, 1931
Note au sujet de vieilles portes de maisons marocaines, 1932
Procédés marocains de teinture des laines, 1938
Note au sujet de mosaïques à décor géometrique de l'antiquité, 1947
Corpus des tapis marocains, 1950   
Une lignée d'artisans : les Ben Chérif de Fès, 1950


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