Goums, tabors, tirailleurs & partisans

Les goums mixtes marocains 1907-1956

Mis à jour : vendredi 27 novembre 2015 08:39
1956._Rabat

Source : texte de Pierre Rubira

Nombreux sont les Français, officiers, sous-officiers, hommes de troupe, qui ont servi dans les goums mixtes marocains, non seulement, au cours de la Seconde guerre mondiale, mais aussi sur le sol marocain, depuis l'année 1908 où ils furent constitués pour la première fois. Ce fut une troupe incomparable encadrée par des hommes de valeur, les officiers des Affaires indigènes. D'abord supplétifs, puis réguliers, les goums marocains ont réuni des guerriers qui ont magnifiquement contribué à la victoire de 1945. Ils ont vécu une extraordinaire aventure. Leur histoire constitue l'un des chapitres les plus prenants des fastes de l'Armée française.

Le 9 mai 1956, à N'Kheila, près de Rabat, dans le quartier du 1er tabor marocain, les 41 goums, représentés par leurs fanions ornés de la traditionnelle queue de cheval, disaient adieu à leur drapeau. En exécution des accords de Paris, ils étaient dissous et transférés à l'armée royale marocaine.
Le colonel Aunis, leur dernier chef, donna lecture de l'ordre de dissolution :
"Les goums marocains quittent l'Armée française. Toute leur histoire est incluse entre ces deux dates : 1908-1956, la pacification du Maroc, la Tunisie, la Sicile, l'Italie, la Corse, l'île d'Elbe, la France, l'Allemagne, l'Indochine, l'Aurès...
"Ils ont été de toutes les campagnes et peu de troupes ont cueilli, en si peu de temps, autant de gloire. Marqués dès leur origine, par le général d'Amade, du sceau du génie français, ils ont été pendant près d'un demi-siècle, fidèles à leur tradition de vie et de devoir. Leur rayonnement, dans la pacification du Maroc, leur fougue dans la reconquête du sol français sous l'impulsion de chefs prestigieux, leurs sacrifices en Extrême-Orient, ont inscrit une fulgurante épopée dans les plis de leur drapeau et de leurs fanions.
"Le destin des peuples va désormais nous séparer d'eux. A nos compagnons d'armes qui furent l'objet de notre part de tant de sollicitude, nous disons aujourd'hui un adieu ému. C'est la fierté au cœur d'avoir été dans leurs  rangs, d'avoir mêlé généreusement notre sang au  leur au cours de tous les combats, que nous leur garderons un souvenir plein de ferveur.
"Le drapeau des goums est pour la dernière fois au milieu de nous. En le saluant, élevons nos pensées vers tous ceux tombés glorieusement au champ d'honneur, officiers, sous-officiers, gradés, goumiers marocains. Puisse leur sacrifice résonner dans tous les cœurs."

Ainsi se terminait l'épopée des goumiers de l'Atlas, vêtus de leur djellaba de laine brune devenue légendaire. Un corps d'élite de l'armée d'Afrique disparaissait. Le 8 juin qui suivit les adieux de Rabat, le drapeau des goums était versé au musée de l'Armée, à Paris.
Une cérémonie se déroula dans la cour d'honneur des Invalides. Le ministre Max Lejeune, représentait le gouvernement de la République; le Maréchal Juin était là, lui qui avait eu les goums sous ses ordres. Il avait peine à retenir ses larmes. On vit pénétrer sous la voûte une demi-douzaine d'officiers vêtus pareillement de kaki, coiffés du képi bleu de ciel frappé du croissant d'or et du sceau de Salomon. Le colonel Aunis portait le drapeau symbole des 68 citations obtenues par les tabors. Lorsque les honneurs lui eurent été rendus, le drapeau disparut dans la salle Turenne.


2061956_Col._Aunis_port_drapeau_aux_Invalides
2 juin 1956. Le colonel Aunis porte le
drapeau des Goums, déposé aux Invalides
Source : Koumia

 

Les premiers goums furent organisés à l'époque où la France intervint au Maroc pour y rétablir l'autorité du sultan. Pour étendre la zone d'action des troupes françaises dans toutes les tribus, auxiliaires indigènes étaient nécessaires afin d'établir le contact avec les populations, afin de mettre sous leurs yeux l'exemple des relations cordiales nouées en Algérie entre les Français et les Arabes et les Berbères. On fit donc venir d'Algérie des goumiers. C'étaient des musulmans levés dans les tribus des Hauts-Plateaux et du Sud, dont la présence prouvait que les Français n'étaient pas des conquérants ennemis de l'Islam, utilisant des mercenaires, mais qu'ils avaient l'appui et la confiance de contingents de même race, de même religion que les populations des plaines littorales marocaines. Ces goumiers étaient commandés par des officiers des Affaires indigènes. C'étaient, écrivait naguère le général Simon, qui les connaissait bien, des cavaliers alertes, dévoués à leurs chefs, ayant des qualités guerrières suffisantes pour l'escarmouche, mais inaptes à la bataille rangée. Par ailleurs, on ne pouvait pas les tenir longtemps éloignés de leur pays, de leurs familles. Ils ne firent au Maroc que des séjours de courte durée. On les relevait tous les quatre mois.
Goums_1908
" Evénements du Maroc ". Série de cartes postales éditée en 1908

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On en vint donc tout naturellement au projet de former des goums permanents marocains, de créer une force originale, apte aux missions de police et au combat. C'est ainsi qu'en 1908, Simon, alors commandant et chef du service des renseignements et des Affaires indigènes, agissant sur les instructions du général d'Amade, organisa les six premiers goums marocains dont les points d'attache furent fixés comme suit :
1er_Goum_marocain

- 1er goum : Sidi-Ali (Azemmour)
- 2e goum : Ouled-Saïd
- 3e goum : Settat
- 4e goum : Kasbah. Ben Ahmed
- 5e goum : Dar Bou Azza (camp Boucheron)
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Tampon du commandant du 5e Goum
apposé sur une carte postale expédié en 1909

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Chaque goum comprenait la valeur d'une compagnie d'infanterie et d'un peloton de cavalerie, avec un petit train muletier. Il était commandé par un capitaine français, disposant de trois lieutenants, et de quelques sous-officiers et soldats français ou algériens musulmans.
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Les goumiers étaient des volontaires liés par un acte d'engagement, recevant une solde, un armement, mais s'habillant, s'équipant, se remontant à leurs frais. Chacun faisait la popote à sa guise, bénéficiant de denrées cédées par l'intendance. Les goumiers vivaient en famille, dans un douar annexé au poste où logeaient les célibataires. Leur mission consistait à assurer la sécurité du pays, à patrouiller, à éclairer les troupes régulières dans leurs déplacements, à former un élément attractif permettant le contact avec les populations, dissipant les préventions et les malentendus.
Goumier
La réussite fut à peu près complète. Mais le calme était loin d'être total au Maroc et une longue campagne commença, en vue de réduire les tribus dissidentes et de les ranger sous l'autorité du sultan. Les goumiers y tinrent un rôle très actif. Ils participèrent d'abord à de petites actions dans la Chaouïa, reçurent le baptême du feu en 1910, subirent des pertes, plusieurs de leurs officiers furent tués.

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Les six goums prirent part à l'expédition de Fez en 1911. Leurs effectifs atteignaient, à ce moment-là, 17 officiers, 158 gradés ou soldats français, 820 goumiers avec 230 chevaux. Ils  furent engagés contre le prétendant El Hiba, un Mauritanien, qui fut battu à Sidi Bou Othman en  septembre 1912 par le colonel Mangin. Sitôt après, Marrakech fut occupé sans coup férir par un détachement léger aux ordres du commandant H. Simon, "père" des goums.
Goumiers_cadavre

Les résultats ayant été concluants, une instruction ministérielle, en date du 9 août 1913, régla l'organisation et le fonctionnement de ces premières forces supplétives marocaines dont l'entretien fut assuré par le budget français. Les goumiers furent, après l'expédition de Fez, armés de fusil modèle 1886, comme les troupes régulières. Ils étaient alors vêtus de toile kaki portaient la toile de tente en sautoir, à l'intérieur de laquelle était roulée une veste, ils étaient dotés d'un étui-musette, d'un bidon, d'un ceinturon à cartouchières, coiffés du chèche. Par ailleurs, on avait organisé des bataillons réguliers de tirailleurs qui, après avoir pris part à des actions au Maroc, vinrent se battre dès septembre 1914 sur le front français, et des escadrons de spahis marocains qui combattirent surtout à l'Armée d'Orient, puis à l'Armée du Levant. Les goumiers, eux, restent des supplétifs qui ne figurent pas dans le corps de bataille de l'armée. Ils sont à la fois pasteurs et soldats, constamment aux avant-postes, menant une vie qui les durcit, en fait d'excellents guerriers se transformant en travailleurs, poussant leur influence toujours plus loin, gardant leurs qualités de rusticité, d'endurance.
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Les progrès de la pacification s'étendaient. Avec des forces très modestes, Lyautey maintint le Maroc dans un calme à peu près complet durant la guerre de 1914-1918. Mais les besoins en forces auxiliaires allaient croissant sans cesse. En 1920, les goums étaient au nombre de 25. Peu à peu, les Berbères venaient s'engager. Les unités de la plaine, à recrutement arabe, voyaient se former, à leurs côtés, des unités de montagne. L'encadrement variait, mais était moins fort qu'au début : deux officiers et sept ou huit sous-officiers français par goum.
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En 1933, le nombre des goums fut porté à 48, formant un effectif total de 6000 fantassins et 2000 cavaliers. C'est l'époque où les derniers dissidents dans le sud-ouest marocain font leur soumission. Les officiers des Affaires Indigènes ont accompli une lourde tâche. Ils forment un corps d'élite, composé de volontaires sélectionnés. Leurs pertes sont sévères. Les goums constituent de véritables familles guerrières dont le chef est incontesté, vénéré. D'ores et déjà, ils ont accumulé les actions d'éclat, les fanions de quatorze d'entre eux ont reçu la croix de guerre, avec palmes ou étoiles. Leurs chefs, qui ont payé de leur vie ces exploits, s'appellent Morelle, Faure, Séjourné, Lafitte, Legagneux, Debray, Gueyetand, de Maistre, Payron, Chappedelaine, Debray, Turget, Bournazel, Sieurac, Roche, Timpagnon, Robillot...
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Un goum en 1934

A partir de 1937, on crée des "goums auxiliaires", car on prévoit une nouvelle guerre européenne et le Maroc sera appelé à fournir, comme en 1914, sa contribution en troupes régulières. D'autre part, la menace Italienne constitue un nouveau problème. Il faudra donc maintenir l'ordre au Maroc comme dans tout le Maghreb. Ces goums auxiliaires sont d'abord au nombre de 40, puis de 51, ou de 67, selon d'autres estimations (1). La mobilisation de ces unités est semblable à celle que l'on a pratiquée à l'époque de la Première Guerre mondiale et que l'on pratiquera encore en 1939, c'est-à-dire que chaque unité d'activé donnera naissance à des unités de réserve. Chaque goum actif prépare la levée d'un goum auxiliaire composé de volontaires, qui perçoivent, au titre des réserves, une prime annuelle, bénéficient de certains avantages (exemption de prestations), sont tenus à une  période d'instruction. Leurs cadres sont composés de gradés de la réserve. Le goum auxiliaire porte le même numéro que le goum actif, augmenté de 100. Si le goum actif mobilise deux goums auxiliaires, le deuxième porte le numéro augmenté de 200.
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Peu à peu, les goums marocains se sont organisés et cette organisation a été très poussée, car, sur leur action, repose la paix française au  Maroc. Ils sont installés dans des "douars" modèles, avec écoles d'artisanat, culture reposant sur des méthodes modernes, pépinières, etc. Ils forment ainsi de petits centres ruraux fort bien tenus.
Dès l'ouverture des hostilités, en septembre 1939. le Maroc mobilise 126 goums. En mai 1940. on constitue 15 groupements à 4 goums. Et, peu après, trois de ces groupements appelés "supplétifs marocains" sont dirigés sur le front de Tunisie (2).
Le 24 juin, l'un des goums effectue un coup de main sur un poste italien.
C'est bientôt l'armistice, les trois groupements sont rapatriés au Maroc, disloqués le 1er septembre. Les commissions d'armistice italo-allemandes s'installent en Tunisie, en Algérie et au Maroc.
RICM

 

Les goums de 1943 à 1945

Bien avant le débarquement allié d'Afrique du Nord les goums avaient été organisés secrètement en "tabors", c'est-à-dire l'équivalent d'un bataillon d'infanterie à trois goums (compagnies), et un goum de commandement, d'engins et de transmissions. Les tabors formaient le "groupement de tabors", l'équivalent d'un régiment d'infanterie à trois tabors (bataillons).
Au mois de novembre 1942, les goums marocains, au nombre de 102, se tinrent prêts à entrer de nouveau en guerre.
Dès le début du mois de décembre, deux groupements de tabors furent dirigés sur le front tunisien. Ils étaient commandés, respectivement, par le commandant Leblanc et le commandant Boyer de Latour du Moulin (3).
Ils furent à pied d'oeuvre le 16, l'un des tabors exécuta un raid vers le carrefour de la route Tunis-Pont-du-Fahs et de la route d'Oùm el Arbaoua. Puis les goumiers furent engagés dans les montagnes de la Dorsale en direction de Kairouan, ils combattirent au Djebel Bargou, passèrent un dur hiver, prirent l'offensive en avril sur la petite Dorsale, firent prisonniers 9000 Italiens et Allemands et, une fois la victoire acquise, revinrent au Maroc se préparer à d'autres combats.
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Cadres d'un Tabor
En septembre, à la demande du général américain Patton, le 4e tabor (commandant Verlet) fut mis à la disposition des troupes américaines en Sicile, assura leur couverture en montagne, de Licate à Palerme, puis de Palerme à l'Etna, faisant 5000 prisonniers.
Le 2e groupe de tabors, participa à la libération de la Corse, enleva de haute lutte le col de Teghime le 2 octobre 1943 et l'un de ses goums pénétra le premier dans Bastia, le 4 octobre.

Au Maroc, pendant ce temps, se poursuivaient la transformation et l'entraînement des 1er, 3e et 4e groupements de tabors. Coiffés de casques anglais, armés de fusils et de pistolets-mitrailleurs américains, vêtus de djellabas de laine sombre et à capuchon de montagnard, portant les jambières de laine blanche ou brune, munis, pour le repos, de la rezza (coiffure) de laine marron ou noire.
Le général Guillaume avait été nommé au commandement des goums marocains le 1er juillet 1943. Il embarqua le 24 janvier 1944 sur le croiseur Dudgay-Trouin pour l'Italie où l'avaient précédé les 3e et 4e groupements de tabors, commandés respectivement par le lieutenant-colonel Soulard, à qui devait succéder le lieutenant-colonel Gautier, et par le lieutenant-colonel Massiet du Biest (4).
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Tabors au repos

Le 1er groupe de tabors ne débarqua à Naples qu'au mois d'avril. Le général reçut d'abord un commandement dans le cadre de la 2e division d'infanterie marocaine, s'installa à Selvone, puis à Colli-al-Volturno, face à la chaîne des Abruzzes. L'hivernage fut très rude. La température de cette région, habituellement inclémente, devint horrible. Les pertes par le feu et par le froid furent sévères. Au printemps, le corps expéditionnaire français quitta les Abruzzes pour s'intercaler sur le Garigliano, entre les Anglais, qui se trouvaient dans la vallée du Liri, et les Américains, sur la bande du littorale.
Les Allemands avaient admis une fois pour toutes que les massifs escarpés situés en face des Français étaient impraticables aux grandes unités. Ils savaient parfaitement d'autre part, que les Anglais aussi bien que les Américains n'étaient pas entraînés à la guerre de montagne. Ils faisaient peu de cas des contingents algériens et marocains dont ils estimaient l'instruction insuffisante. Le général Guillaume préconisait depuis longtemps l'emploi massif des goums dans une manoeuvre d'exploitation. Le général Juin, de son côté, mûrissait un plan qui, selon lui, devait assurer la victoire. Les Anglais et les Américains, allergiques à cette guerre de montagne qu'ils n'avaient jamais pratiquée s'obstinaient à attaquer sans cesse, en vain, la trouée de Cassino. Juin proposait au contraire de porter l'effort principal face à la montagne pour obtenir la rupture et porter la désorganisation sur les arrières ennemis. Finalement, ayant eu gain de cause, il constitua un "corps de montagne" sous les ordres du général Sevez, comprenant la 4e division marocaine et les trois groupements de tabors. Après la rupture du front par les trois autres divisions du corps expéditionnaire, ce corps foncerait à travers les hauteurs.
Le 11 mai, Guillaume est à San Castrese. Le 14, les divisions de troupes régulières rompent le front ennemi. Le 16, les dix mille goumiers se ruent dans la brèche, enlèvent successivement tous les massifs qui, du Garigliano aux abords de Rome, séparent la vallée du Liri du littoral. Ils ne sont pas surpris, le pays qu'ils traversent est semblable au leur par son aridité et le chaos de son relief. Ils procèdent au nettoyage de la vallée de l'Ausente, forcent l'entrée du massif de Petrella, au Castello, puis au Strampaduro, nettoient encore les massifs des Aurunci, des Ausoni, des Lepinis et s'emparent de nombreux villages. Désorienté, l'ennemi décroche de partout. Les goumiers sont venus à bout des meilleurs troupes allemandes : chasseurs de montagne, panzergrenadiers, parachutistes. Ils ont mené vingt jours et vingt nuits de combats ininterrompus et réalisé une avance foudroyante. Le 2 juin leur rôle est terminé, les unités blindées et motorisées foncent sur Rome. Ils sont regroupés autour des lacs Albins, font ensuite partie du corps de poursuite, à l'aile gauche, participent à de nombreux combats du 15 juin au 3 juillet, date de l'entrée à Sienne. Le 4e groupe, qui a le plus souffert - 1513 tués et blessés, dont 27 officiers - est replié sur le Maroc. Il a contribué largement à la prise de San Gimignano. Le lieutenant-colonel d'Alès, commandant le 17e tabor, a été tué.
Pendant ce temps, le 2e groupe de tabors, venu de Corse, a participé à la prise de l'île d'Elbe avec la 9e division d'infanterie coloniale. Il a été jeté à terre le 17 juin vers 8 heures, le débarquement s'est opéré par 1,50 m de fond, les goumiers sont arrivés sur le rivage trempés jusqu'aux os, ce qui ne les a pas empêchés d'escalader les pentes qui se trouvaient devant eux. L'ennemi avait commis l'erreur de se fixer au sol, ses positions furent débordées et réduites. La capture de la batterie de Poggio Fortino, le 19 juin, fut un haut fait d'armes. Le commandant Cros, chef d'état-major du groupement, fut tué.
Après ces exploits, il fut fortement question de renvoyer les tabors chez eux. On avait accusé les goumiers de maints méfaits commis sur le sol italien, et les Américains se montraient très stricts à ce sujet. Pas d'irréguliers dans les futures troupes d'invasion du Midi de la France. Finalement, on se mit d'accord sur l'emploi d'un seul groupement. Lorsqu'on se compta, une fois à terre, on en trouva trois... et le quatrième n'était pas si loin. Ils marchèrent en avant avec une telle rapidité qu'on dut renoncer à les arrêter. Ils devaient aller jusqu'au Rhin d'abord, puis jusqu'au Tyrol.
Ils furent donc 10000 goumiers mis à terre sur les côtes de Provence à partir du 16 août 1944. La bataille de Marseille devait les voir pour la dernière fois agir groupés. Ils furent ensuite employés isolément. Le 1er groupe fit tomber Cadolive, Septennes, Foresta. Le 2e s'empara du château de Forbin, de Saint-Loup, du Parc-Borély, du Roucas-Blanc, du fort Saint-Nicolas. Le 3e réduisit Mazargues, la Vieille-Chapelle, Montredon, le mont Rose. La ville avait été libérée par la 3e D.I.A. et par les goumiers plusieurs semaines avant la date prévue par le commandement allié.
Après la prise de Marseille, le général Guillaume fut nommé commandant de la 3e division d'infanterie algérienne. A la tête des tabors, lui avait succédé le colonel Hogard, antérieurement son adjoint.
www.laherrere.frdefil--prise-darmes
Le général Guillaume lors d'une prise d'armes
Source : www.laherrere.fr
Le 1er groupe contribua, le 6 septembre, au dégagement de Briançon, mais perdit, le 15, le lieutenant-colonel de Colbert, tué. Dans les Vosges, les 2e et 3e groupes se trouvèrent aux prises avec des adversaires déterminés à résister sur place, livrant de sanglants combats dans la neige et sous bois. Le 17 février 1945, le 3e groupe fut retiré du front et rapatrié. Le 4e groupe, lieutenant-colonel Parlange, vint du Maroc prendre sa place.
Le 13 mars, ayant nettoyé la forêt de Haguenau, le 1er groupe et la 3e D.I.A. attaquèrent la ligne Siegfried, la tournèrent, la forcèrent. Le commandant Abesca trouva la mort dans cette opération. Le 4 avril, les goumiers passaient le Rhin. Le 19, ils étaient à Pforzheim, le 22, les 1er et 4e G.T.M. attaquaient dans la poche de Stuttgart, le 23 et le 24 dans la forêt de Schönbuck. Le 9 mai, le 4e, ayant traversé le Danube, atteignait le Tyrol bavarois. Le 2e opérait en Forêt-Noire et débouchait dans le Tyrol autrichien. La campagne était terminée.
Les pertes des quatre groupements de tabors, pendant la guerre avaient été de 9200 tués ou blessés (70 disparus). Les morts étaient 61 officiers, 105 sous-officiers, 1472 goumiers. Ils avaient fait 29000 prisonniers et conquis de nombreuses citations collectives à l'ordre de l'armée.
Le 14 juillet 1945, place de la Bastille, le général de Gaulle remettait aux tabors marocains leur drapeau.
Après la guerre, les quatre groupements de tabors marocains furent dissous, au Maroc. Il fut un moment question de supprimer purement et simplement les goums. On en conserva cependant une cinquantaine. Un certain nombre de tabors furent même conservés, les 1er, 3e et 10e, comme unités de traditions des 2°, 1er, 3e et 4e groupes. Lorsque survint la guerre d'Indochine, 3 tabors furent envoyés en Extrême-Orient et s'y sacrifièrent, notamment à Cao-Bang. Bien peu des officiers et des goumiers qui prirent part à cette malheureuse campagne revinrent. De nombreux officiers, on n'eut plus jamais de nouvelles. Cette étape marquait la fin de l'épopée des goums mixtes marocains, troupes valeureuses s'il en fut jamais au service de la France.

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11 mai 1953 au Tizi n'Treten.
Le général Juin, résident, décore le drapeau des Goums.

Certains fredonnent et fredonneront encore le "Chant des Tabors", jusqu'au jour où il tombera dans l'oubli de toutes choses :

On chantera, la chose est sûre,
Pendant cent ans et beaucoup plus,
Les exploits et les aventures
De ceux qui se sont tant battus...
Goumier à la robe de bure.
Tu peux rentrer dans ta tribu.

Il restera aussi une plaque dans la galerie des Invalides et un drapeau qui, un jour, tombera en poussière.

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Le chant des goums marocains
Zidou l'goudem, Zidou l'goudem
Ecoutez le chant des Tabors.
Marchez toujours, marchez quand même
Jusqu'à la fin, jusqu'à la mort
Tout en hurlant "Zidou l'goudem!"
C'est la dure loi du Tabor.
Vêtus de nos robes de laine,
Nous avons laissé nos troupeaux,
Notre montagne ou notre plaine
Pour ne connaître qu'un drapeau,
C'est le fanion d'un capitaine.
Notre destin est le plus beau.
Regardez les goums qui passent
L'œil brûlant comme des loups.
Quoi qu'on dise, ou quoi qu'on fasse
Il faut bien compter sur nous.
Ne sont plus qu'un bruit très lointain.
Nous avons promené nos bandes
De l'Atlas par-delà le Rhin
Dans le rang des GTM.
A l'appel du grand Auroch,
Retentit "Zidou l'goudem!"
Pour la France ! Pour le Maroc
Rappelle-toi la Tunisie
Au temps de nos premiers assauts,
Rappelle-toi la frénésie
Qui s'empara de notre peau
Lorsqu'au Zaghanan - adieu la vie.
Nous nous battîmes au couteau.
Sur le sol de la voie Appienne,
Nous avons traîné nos pieds nus.
Puis ce fut la course vers Sienne
L'ennemi fuyait éperdu.
Des baisers des belles romaines
Petit goumiers, te souviens-tu ?
Le beau 15 Août, ce fut la France
Qui nous reçut, les bras tendus,
Nous apportant la récompense
Du bonheur enfin revenu.
Marseille et toute la Provence
Ont chanté quand ils nous ont vu.
Coureurs de bled, coureurs d'espace,
Bien serrés dans nos djellabas,
Il fallut poursuivre la chasse
Pendant l'hiver ô sombres mois
Mais nous entrâmes en Alsace
Teintant de rouge le verglas.
Après le Rhin, la Forêt Noire,
Nous vit surgir tels des démons.
On se ruait vers la victoire.
Par un soir d'avril, nous plantions,
Ah! Le beau soir d'or de gloire,
Dans le Danube nos fanions.
On chantera, la chose est sûre,
Pendant 100 ans et beaucoup plus,
Les exploits et les aventures
De ceux qui se sont tant battus.
Goumier à la robe de bure,
Tu peux rentrer dans ta tribu.

Le chant des Tabors
Et demain nous saurons tuer
Les pourceaux qu'Allah a jetés
Sur la terre pour faire admirer
Les tabors et les goumiers.
Nous sommes seuls (bis)
Pour défendre nos défilés.
Nous ne croyons qu'en la chanson
De nos couteaux prêts à tuer.
Nous ne croyons qu'en nos razzias
Sur les meskines et les mellahs.
Et demain au lever du jour,
Quittant la vallée du Missour,
Nous suivrons notre Moulouyia
Jusqu'à nos fortins de Tadla.
Nous sommes les rois du djébel,
Les guerriers ait-Tserrouchen.
Nous défendrons nos chefs, nos terres
Et notre droit à la guerre.
11111955_Dfil_Rabat_Tabor
11 novembre 1955. Un des derniers défilés des tabors à Rabat.

Le drapeau des Goums

Source : texte du colonel Daniel Sornat, revue Koumia

Le 2 mars 1945, le général Guillaume demande l’attribution d’un étendard aux Goums Mixtes Marocains. Cette demande ne fut pas accueillies favorablement, les goums ayant toujours l’appellation de “Méhallas Chérifiennes”.
Le 8 mai 1945, le général Guillaume revient à la charge en précisant : “Il est bon de rappeler que si les goums ne sont pas des troupes régulières au sens propre, il n’en reste pas moins que ce sont des troupes françaises soumises à une réglementation particulière, qu’il appartiennent au ministère de la Guerre et qu’ils sont régis par l’I.M. n°6709/EMA du 15.02.1937. Ce serait une grave erreur de considérer les Goums marocains comme des troupes chérifiennes et à ce titre de leur refuser d’avoir leur étendard.
Par une circulaire n°212/EMA/H4 du 13 juillet 1945, un drapeau fut attribué aux quatre G.T.M. Le lendemain il fut remis au colonel Hoggard par le Général de Gaulle. Il portait comme unique inscription “Tabors Marocains”.
En octobre 1949, à l’occasion du reversement au Service Historique du drapeau pour inscription des noms des batailles de la guerre 1939-1945, le Lt Colonel Pantalacci, commandant les goums marocains, demanda que l’inscription “Tabors Marocains” soit remplacée par “Goums Marocains”. Ainsi ce drapeau servirait d’emblème unique pour l’ensemble des Goums au même titre que celui des Chasseurs. Il souligna par ailleurs, puisque les goums avaient participé à toutes les opérations de pacification au Maroc, qu’il serait juste que “Maroc” vint en tête des inscriptions.
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Le Bulletin Officiel n°8 du 20 février 1950 indiquait :
Un drapeau est attribué aux Goums Marocains.
Ce drapeau portera désormais l’inscription “Goums Marocains” et les noms de bataille suivants :
Maroc 1908-1934, Tunisie 1942-1943, Sicile 1943, Corse 1943, Sardaigne, Italie 1944, France 1944-1945, Allemagne 1945."
En 1951, le général Guillaume, alors résident général au Maroc demanda à ce que la croix de la Légion d’honneur soit attribuée au drapeau des Goums Marocains : “Il serait injuste que leur drapeau ne symbolise pas d’une manière plus effective encore tant de bravoure et d’héroïsme prodigué sur les champs de bataille, de France, d’Europe et d’Union Française. C’est dans le but de réparer cet oubli que le présent rapport est formulé”.
Le décret du 9 juillet 1952 nomme dans l’ordre national de la Légion d’Honneur, au grade de chevalier, le drapeau des Goums Marocains. Le 31 mai 1953, au Tizi n’Treten, la croix de la Légion d’Honneur fut remise au drapeau des Goums par le Maréchal Juin. L’emblème recevra plus tard l’inscription Indochine.
Avec 8 inscriptions au total, en 48 ans d’existence, le drapeau des Goums se classe en bonne place dans le palmarès des emblèmes militaires françaises. Les drapeaux les plus décorés à ce jour ont 12 noms de bataille.
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(1) Cf. Revue Historique de l'Armée, année 1952, n° 2, "Les goums mixtes marocains", par le général Spillmann. La "Répartition et le stationnement des troupes de l'armée française" au 16 janvier 1939 mentionne 51 goums et 1 goum hors-rang. Il y en avait 57 en septembre 1939.
(2) 1er groupement, commandant Leblanc, 108e, 11er, 147e. 208e goums. 2e groupement, commandant Boyer de Latour du Moulin, 101e, 104e, 201e, 204e goums. 3e groupement, commandant de Jenlis, 114e, 157e, 214e, 257e goums. Il s'agit donc d'anciens goums auxiliaires, mobilisés, entraînés et devenus aptes au combat. Les goums actifs sont demeurés au Maroc, où leur présence est indispensable. Voir l'étude très documentée des colonels Pierre Bertiaux et Yves Jouin : Historique des goums marocains, la période de camouflage des méhallas chérifiennes, juin 1940-novembre 1942, préface du général d'armée Guillaume, supplément au bulletin de liaison de la Koumia, Paris 1966.
(3) 1er groupement : 2e tabor (G.C.E.T., 51e, 61e, 62e goums), 3e tabor (G.C.E.T., 4e, 65e, 101e goums). 12e tabor (G.C.E.T., 12e, 63e. 64e goums). 2e groupement : 1er tabor (47e, 58e, 59e, 60e goums), 6e tabor (36e, 72e, 73e. 74e goums), 15e tabor (8e. 11e, 30e, 39e goums).
(4) 4e groupement de tabors : 5e tabor (G.C.E.T., 41e, 70e, 71e goums), 8e tabor (G.C.E.T., 78e, 79e, 80e goums), 11e tabor (G.C.E.T., 88e, 89e, 93e goums). 3e groupement : 9e tabor (G.C.E.T., 81e, 82e, 83e goums), 10e tabor (G.C.E.T., 84e, 85e, 86e goums), 17e tabor (14e, 18e, 22e goums).

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Insigne du 32e Goum

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