Les mines

Histoire de la mine d'Imini et du BRPM

Mis à jour : lundi 15 août 2011 10:35

 

Trois géologues à l'origine des mines de la vallée de l'imini


Les premières expéditions géographiques au Maroc
Plusieurs géographes européens approchèrent le Maroc au XIXe siècle pour mieux connaître sa géographie et sa géologie. Ce furent :
- L'Espagne avec Badia connu sous le nom de Ali Bey el Abassi (1803-1807),
- La Grande-Bretagne avec Davidson et le lieutenant Washington (1829-1836), puis Hodgkin (1863) et Maw (1869),
- L'allemagne avec Rein et Von Fritsch (1872), et surtout Lenz (1883),
- La Belgique avec Desguin (1870),
- La France avec Coquand (1847), Balansa (1868), Bleider (1874) et Douls (1887).
Il s'agissait plus de voyageurs connaissant les roches et de géographes et non de véritables géologues, à l'exception notable d'un géologue de renom H. Coquand, lequel n'étudia que le nord du Maroc et publia Description géologique de la partie septentrionale de l'Empire du Maroc (B.S.G.F. 1847).
Avant 1888, ils purent approcher les contreforts de l'Atlas côté nord, mais ne purent passer côté sud. La plus grande partie du Haut Atlas n'était pas sous le contrôle du Makhzen mais se trouvait en bled es Siba (territoires qui refusaient l'autorité du sultan de l'époque). Ces explorateurs ne passèrent jamais au sud de l'Atlas qui restait une barrière infranchissable aux Européens. A peine pouvaient-ils escalader les sommets environnants pour observer de très loin le côté sud de l'Atlas. Coutin, un autre géologue fut tué par balles dans la haute vallée du N'fis alors qu'il n'était pas armé.

L'époque des géologues explorateurs


À partir de 1888 des géologues réussissent à monter assez haut dans l'Atlas pour parvenir jusqu'aux cols comme le Tizi n'Telouet ou le Tizi n'Tichka et voir sous leurs yeux s'étendre les pentes et les vallées du sud. Mais eux non plus ne s'y aventurèrent pas. Les tribus contrôlaient chacune leur territoire et il était très dangereux de se retrouver entre deux tribus. D'ailleurs aucun guide ne voulait les accompagner dans certaines régions.
Ceux qui restèrent sur le côté nord de l'Atlas furent par exemple l'Anglais Thomson (1888) et les Allemands Von Pfeil et Fischer (1897-1901). Thomson observa le flanc sud de très loin, c'est-à-dire depuis les sommets des jebels Ogdent, Likoumt et Taourirt (Tistouit).
Les deux premiers géologues à passer sur le flanc sud du Haut-Atlas furent Abel Brives (1901 à 1907) et Paul Lemoine (1904). On trouve une partie des observations d'Abel Brives dans son livre : Voyages au Maroc, publié plus tard par Jourdan à Alger en 1909. Certaines de ses observations n'ont été diffusées qu'après guerre, en 1919, dans un mémoire sur Les richesses minérales du Maroc.
Là où d'autres s'habillaient comme les indigènes pour ne pas se faire remarquer, Abel Brives avait choisi de s'habiller à l'européenne et était accompagné de sa femme. Il écrit "la femme est respectée; elle jouit dans l'Atlas d'un prestige incontesté et souvent par elle, nous pûmes obtenir bien des concessions que les hommes ne nous auraient jamais accordées".
Un jeune géologue, Paul Lemoine, fit beaucoup avancer la connaissance scientifique de l'Atlas en une seule expédition. Il traversa le Haut Atlas en 1904 au-dessus de Telouet sous l'égide du Comité d'Études du Maroc. Il publia un compte rendu de ses observations en 1905, qu'il intitula Mission dans le Maroc occidental. On lui doit des coupes indiquant les différentes couches de roches, notamment une coupe sur les Hauts-Glaoua où il souligne l'importance de couches sédimentaires du turonien et du cénomanien.
Le troisième géologue a avoir étudié la vallée de l'Imini fut Louis Gentil dont le nom fut donné plus tard (1931) à une mine de phosphate, puis à la ville qui s'est développée à proximité de cette mine (Youssoufia d’aujourd’hui).
Louis Gentil n'était pas venu avec sa épouse comme Brives. Il parlait l'arabe, était vêtu d'une djellaba et avait un guide marocain avec lui. Mais son comportement pouvait apparaître suspect quand il utilisait en cachette un de ses instruments de géologue. Il raconte qu'une fois il fut inquiété par des voyageurs indigènes qui suivaient la même route : "L'un d'eux paraît me surveiller; j'ai bien peur qu'il m'ait vu regarder, sous ma djellaba, mes instruments.” Fort heureusement son guide s'en aperçoit, il marche alors à côté de lui pour le distraire, mais il ne peut éviter une question indiscrète : - Que fait ton camarade à regarder si souvent dans sa chemise ? - Tu le sais aussi bien que moi, il cherche ses poux..." Voir son livre : Dans le Bled Siba, Explorations au Maroc, édité à Paris en 1906.
Louis Gentil étudiera la géologie des vallées du Sud en passant l'Atlas au-dessus de Demnate et en remontant l'oued Tessaout. Plus tard il rejoindra le massif volcanique du jebel Siroua en passant par la vallée de l'Imini, établissant des cartes et des coupes géologiques de grande qualité.
Les travaux de ces trois géologues seront complétés pour réaliser des études plus systématiques, mais seulement après la guerre de 1914-1918. C'est Honoré Lantenois, conseiller du général Lyautey pour les mines, qui fut à l'origine du Service géologique du Maroc, créé en 1921.

Les mines d'Imini et le BRPM de 1929 à 1947


A Rabat, Léon Migaux organisa la création du BRPM (Bureau de Recherches et de Participation Minières) à la fin de l’année 1928 et le dirigea jusqu’en octobre 1936. Il participa à la création de la Sacem en 1929 avec la société Mokta el Hadid. René Vigier, également ingénieur des mines, lui succéda en novembre 1936. Sous sa direction le BRPM apporta un concours important et une impulsion déterminante à la mise en valeur des gisements de manganèse de l’Imini. C’est en particulier sous son initiative que dans les colonnes du quotidien La Vigie marocaine, Raymond Lauriac expliqua l’intérêt stratégique de ces mines.
Les convictions de René Vigier l’avaient conduit à s’opposer aux autorités politiques. Il sortit, à son honneur, d'un différend momentané avec un des Résidents Généraux de l'époque. Pendant la seconde guerre mondiale, il organisa la noria des navires qui rejoignaient Casablanca et prépara le développement économique d’après guerre avec l’européen Jean Monnet. A la sortie de la guerre il reprit l'initiative pour relancer l'exploitation des mines de l'Imini. Après un retour en France de deux ans, il devint de 1949 à 1959 Directeur général du BUMIFOM, un poste à l’échelle internationale, qui lui permit de garder le contact avec le Maroc et de voir enfin les mines de l'Imini se développer.

Carte d'état-major IGN, annexe Rabat 1948
Extrait de la feuille Ouarzazate (ex Tikirt) 1-2

Tikirt_Ouarzazate_imini_copy

 


Qu’est ce que le BRPM ?


BRPM_1Le Bureau de Recherches et de Participations Minières a été créé par dahir le 15 décembre 1928, afin de promouvoir la mise en valeur des ressources minières du sous-sol du Maroc autres que les phosphates en partenariat avec les sociétés privées. À la fin du Protectorat le BRPM avait des participations dans plus de 30 sociétés.
Cet organisme de l’Etat marocain fut créé pour une raison stratégique et une raison financière. Doter le pays d’un corps de géologues compétents et bien équipés, capables de repérer de nouveaux gisements et d’en mesurer l’importance; cela avait déjà été fait dès 1921. Permettre à l’Etat de disposer d’une forte minorité dans le capital des futures sociétés minières devenait un enjeu important. La politique pour conforter l'économie du pays fut d’écarter de l’exploitation des gisements stratégiques les petites sociétés à risques et de s’adresser à des sociétés de renom.
Dès 1928, la société Mokta el Hadid avait la surface financière, la taille et l’expérience pour exploiter les gisements d’Imini. Il fallait créer le BRPM d’urgence pour que l’État marocain puisse participer à la création d’une nouvelle société chérifienne, la SACEM.
Le secrétaire général Eirik Labonne, du temps du Sultan Mohamed Ben Youssef, et du Résident général Théodore Steeg, fut à l’origine du dahir du 15 décembre 1928 créant le BRPM. Il fit nommer Léon Migaux à la tête de cet organisme, un major de l’École polytechnique, ingénieur des mines, qui avait plusieurs expériences de terrain et notamment dans les gisements d’hydrocarbures. Léon Migaux développa le BRPM en engageant des géologues comme Fernand Leca.
Avec le BRPM, l’Etat marocain disposait de la structure juridique, technique et financière qui lui permettait de s’associer à la Société Mokta el Hadid pour créer la SACEM, c’est ce qui fut fait quelques semaines plus tard en 1929.
Ainsi il apparaît que le gisement de manganèse de la vallée de l’Imini est non seulement à l’origine de la SACEM, mais qu’il a également accéléré la création du BRPM dont on voit l’importance, toujours aujourd’hui, dans l’économie du Maroc.

BRPM_Rabat_1953BRPM_2

 


Mokta el Hadid 1865 - 1965


Le fondateur, en 1865, de la compagnie de minerais de fer magnétique de Mokta el Hadid, ce qui signifie en arabe, “la coupure de fer”, est le célèbre Paulin Talabot qui avait acquit les droits d’exploitation d’un gisement près de Bône en Algérie, déjà repéré depuis plusieurs années mais inexploité. Talabot, un brillant polytechnicien, déjà connu parmi les grands de la construction et l’exploitation de lignes de chemin de fer, avait demandé au géologue Émilien Dumas, un Gardois de Sommières, d’estimer l’importance du gisement avant de se décider. Les perspectives étant bonnes, Paulin Talabot prit contact avec un autre polytechnicien gardois, Alphonse Parran, également Ingénieur des Mines, pour bâtir la nouvelle société et lancer l’exploitation.
Ces deux hommes, aussi différents l’un de l’autre, furent à l’origine de cette réussite étonnante que fut Mokta el Hadid. Talabot le créateur, le concepteur d’idées possédait un vrai sens stratégique de l’avenir, mais n’avait aucun talent de réalisateur. Parran, gestionnaire et organisateur hors pair su mettre en œuvre la belle idée de Talabot, la rendre concrète et la développer au delà de l‘Algérie dans plusieurs sites miniers à l’étranger.
Mais Talabot et Parran ne se limitent pas aux implantations de Mokta el Hadid en Algérie et dans le Gard, il prennent des participations dans celles de Krivoï-Rog en Russie (minerai de fer, 1881), puis de Gafsa en Tunisie (phosphates, 1886), en apportant les techniques d’exploitation qui ont l'avantage de produire beaucoup dès le début. Ainsi va le monde et les belles réussites. Elles sont souvent le fait d’une équipe. Il y a d’un côté ceux qui comme Paulin Talabot ont les idées, beaucoup d’idées, parfois absurdes, souvent géniales mais qui ne possèdent pas les qualités pour les réaliser. De l’autre côté il y a les organisateurs et les gestionnaires comme Alphonse Parran, qui savent construire sur la durée avec une équipe, sans manquer une seule étape. Ils sont pédagogues, savent déléguer, ne mettent pas leur nez partout parce qu’il ont confiance dans le savoir faire de leurs équipes.
C’est donc en 1929 que la Compagnie Mokta el Hadid créa une société pour l’exploitation de la mine d’Imini en association avec le BRPM, Bureau de Recherches et de Participations Minières, du Maroc. Ce fut la Société Chérifienne d’Études Minières, la Sacem. La même année, la Compagnie procéda à l’aménagement des installations et du traçage du gîte. L’exploitation débutera avant la guerre de 1939-1945, mais de manière très limitée; elle ne commencera vraiment qu’en 1947. Pour assurer les manutentions de minerai dans les chargements de véhicules, la mine d'Imini était équipée d’un transporteur à tapis roulant, ce qui à l’époque (1938) innovait. Plusieurs années plus tard (1948-50) le même tapis roulant avait prouvé sa résistance et son utilité en fonctionnant toujours.


La mine d’Imini, mine stratégique ?


En 1938, la menace de guerre occupait les esprits des milieux politiques, mais également des milieux économiques. Dans La Vigie marocaine, Raymond Lauriac affirma dans une série d’articles la nécessité d'obtenir des pouvoirs publics au Maroc qu'ils fassent plus pour les mines marocaines en leur facilitant les transports par des routes, des lignes de chemin de fer, des téléphériques et des ports aménagés. Il soutenait la thèse que si la production minière était importante, l’équipement en armement contre l’Allemagne menaçante serait plus fort et que la guerre serait évitée.
Il défendait l’idée aussi que le développement des mines donnerait du travail à de nombreux Marocains qui, grâce à leurs salaires, pourraient affronter la misère ambiante. Il soulignait que déjà sur l’ensemble du territoire marocain 15.000 salariés vivaient des mines en 1937 et que leurs salaires non seulement leur procuraient un niveau de vie supérieur à beaucoup d’autres Marocains, mais en plus ils stimulaient par leur consommation les activités artisanales et agricoles traditionnelles. Des calculs faisaient apparaître que 40% du chiffre d’affaires passaient en salaires, 26% en frais de transport, 12% aux fournisseurs du Maroc, 12% en divers, 10% aux fournisseurs de l’étranger.
En 1965, la Société Mokta el Hadid fêta son centenaire avec faste à Abidjan en présence du Président Houphouët Boigny. Les nombreuses réalisations de Mokta y furent célébrées. Imini et la SACEM y figurait en bonne place.