Création du poste de Taourirt

L’histoire de la création du Poste de Ouarzazate

Création : samedi 10 avril 2010 14:44

A l’origine, un dahir chérifien avait permis aux chefs de la tribu des Glaoua d’étendre leur commandement jusqu’au Moyen-Draa. Il confirmait une situation déjà acquise par l’habileté et l’énergie de ces personnalités berbères toujours soucieuses d’étendre leurs domaines en même temps que leurs revenus. L’intéressante position de Telouet, fief de la famille Glaoua, à plus de 2000 mètres d’altitude et à quelque 125 km de Marrakech, jouissait en outre du privilège de commander la piste la plus praticable pour aller de Marrakech jusqu’au Ouarzazate et bifurquer de là vers le chapelet des oasis du Draa et du Tazarine d’une part, du Dadès, du Todgha et du Ferkla d’autre part.

Pour ces populations frustres du Sud, d’esclaves liés à la terre, de sédentaires dominés par des tribus nomades et guerrières, Marrakech était le grand marché où il fallait, pour vivre, venir vendre et acheter, et c’est par le col de Telouet qu’il était seulement possible d’y parvenir. Les Glaoua faisaient intelligemment la police de la “piste”, se conciliant, par des cadeaux, les plus dangereux coupeurs de route, récupérant sur les ksouriens bien plus que leurs débours et que le prix de leurs services. Fin 1918, c’est au Pacha el hadj Thami que le Makhzen demande de prendre à revers les hordes fanatisées du chef de guerre el Nifroutren accrochées aux groupes mobiles dans le Tafilalet. Le Pacha lève, équipe, nourrit et conduit une harka de 15.000 hommes de Marrakech jusqu’au Ferkla, suivant sur ses traces le général de Lamothe, avec pour seule escorte un escadron de Spahis soudanais. Parvenu au Todgha, il y reçoit la soumission du marabout du Ferkla qui lui apporte l’hommage de ses clients Aït Moghrad du Gheris et leur promesse d’entrer dès que possible en relations avec les autorités françaises du Ziz. Au retour, le pacha procède à une véritable organisation politique du pays, laissant partout des représentants et des garnisons.
 
Mais pareille équipée coûte cher aux tribus traversées; le prestige des Glaoua en sort à la fois grandi et compromis. Les procédés de gestion de leurs représentants dans ces provinces lointaines en hâtent alors le déclin. La harka Glaoua n’était qu’un épouvantail qui agissait là où on la menait, et qui coûtait cher à ses chefs comme au pays qui l’hébergeait. Si elle fut précieuse au Makhzen en 1918, elle se montra moins efficace par la suite en 1921 et 1922. Elle fut incapable, en 1923, de remonter jusqu’au Dadès, et de disputer au Ahançali, à l’Est d’Azilal, le débouché de l’Isoughar, autre route qui s’ouvre au Sud sur Marrakech, plus directe mais plus menacée par des tribus encore en pleine anarchie. En 1923, ce n’est pas au Glaoua que le Ahançali offre sa soumission, mais au commandement français, à Azilal. Ensuite leur influence sur le versant sud de l’Atlas alla décroissant; la famille n’avait d’ailleurs plus de grands chefs capables de conduire au loin une harka de plusieurs milliers d’hommes.
L’installation des troupes Makhzen s’imposa alors à un point stratégique : Taourirt de Ouarzazate. En février 1927, le commandant Chardon, chef du bureau régional des Affaires Indigènes de Marrakech, fait affecter au bureau de Telouet, le lieutenant Spillmann dont il a apprécié les qualités dans le cercle d’Azilal. Telouet est un poste qui vient d’être créé par le lieutenant Paulin à proximité de l’importante kasbah de Si Hammou el Glaoui, neveu turbulent du pacha de Marrakech et caïd des tribus du versant Sud du Haut-Atlas. Grand seigneur féodal, il n’aime pas que l’on mette le nez dans ses affaires et supporte mal la présence d’un représentant du Makhzen si près de lui. Grâce à son sens diplomatique avisé, Spillmann parvient à entretenir des relations courtoises sinon confiantes avec ce chef marocain et à évoluer tout à fait à l’aise dans le pays glaoua où les intrigues sont particulièrement nombreuses.
En poste à Telouet, le lieutenant Spillmann, qui vient de remplacer le lieutenant Paulin en février 1927, a pour mission de créer dès que possible un bureau des Affaires indigènes à Taourirt du Ouarzazate. A l’époque la future route du Tichka dépassait Zerekten d’une dizaine de kilomètres mais n’allait pas au-delà d’Areg, terminus des chantiers.

Les premières reconnaissances

A la fin de l’hiver, Spillmann se rend pour la première fois à Taourirt du Ouarzazate, où il est reçu par le vieux Si Hammadi el Glaoui, frère du Pacha de Marrakech, et représentant de son neveu, le caïd Si Hamou el Glaoui.

Il fait ensuite une reconnaissance de dix jours à l’ouest de Telouet, dans le Tidili, la haute vallée du Tifnout, le Haut Souss, puis il descend par le Tizi n’Ouicheddene dans la vallée du N’fis d’où il regagne Marrakech. Il a avec lui le docteur Routhier, médecin-chef de l’hôpital indigène Mauchamps, à Marrakech, l’ingénieur des mines Nelter et un officier topographe.
Une meurtrière épidémie de typhus sévissait alors à Marrakech et dans la plaine du Souss. Le bruit s’était répandu qu’elle avait son origine en commandement Glaoua, dans le Tifnout. pourquoi ne l’avais-je pas signalé ? La Résidence s’en était émue et le Dr Routhier avait été prié de faire l’enquête qui devait me confondre. Nous ne trouvâmes trace nulle part de typhus, sauf dans le Souss, qui n’était pas en pays Glaoua, et à Marrakech, bien évidemment. Aussi demandai-je dans mon rapport qu’on prît d’urgence des mesures pour mettre les tribus du dit commandement glaoua à l’abri de la contagion venant de l’extérieur.
Extrait du livre de G. Spillmann : Souvenirs d’un colonialiste.

En novembre 1927, Spillmann effectua une seconde reconnaissance de quinze jours, de Telouet à Bou Malem (Boumalne) du Dadès, par Taourirt de Ouarzazate. Il était accompagné du lieutenant de vaisseau Robert Montagne, professeur à l’institut des Hautes Études Marocaines, du médecin du groupe sanitaire mobile de Marrakech et du lieutenant Jean-Théophile Delaye, du service géographique du Maroc, dessinateur de talent. Le but de la mission était de reprendre contact avec des populations qui n’avaient pas été visitées depuis 1920, de se renseigner sur la situation des Glaoua dans leur zone d’influence, de rechercher des terrains d’atterrissage au Dadès. Cette reconnaissance de contact avec les tribus locales faillit bien brouiller Spillmann avec les Glaoua. En effet, dès son retour à Rabat, le lieutenant Delaye avait envoyé à son insu, un article au journal l’Illustration, qui s’était empressée de le publier. Il y était dit qu’un jeune officier des A.I. menait à la barbe des seigneurs de Telouet une politique fort habile qui ralliait à la France des populations lasses des exactions dont elles étaient victimes. Le pacha de Marrakech, on le conçoit aisément, prit fort mal la chose et il fallut l’intervention du général Huré, chef de la région militaire de Marrakech, auprès du Pacha pour calmer l’affaire.

L’installation du poste de Ouarzazate

Le général Huré obtint peu après l’accord du pacha de Marrakech pour l’installation dans le district du Ouarzazate d’un Bureau des Affaires Indigènes et d’un poste militaire, tenu par le 35e Goum.

Laissant son adjoint, le lieutenant Beaurpère, comme chef de poste de Telouet où il fut en charge de créer le 36e Goum, Spillmann partit à la fin de l’hiver 1928 pour Taourirt avec le 35e Goum et un convoi civil de 250 chameaux transportant les vivres et les munitions du nouveau poste à construire. Il choisit pour l’installer une colline au sommet plat, en bordure de l’oued, à un kilomètre du ksar de Taourirt, et où se trouvaient les ruines d’une ancienne forteresse des sultans. Trois des épais murs de l’enceinte fortifiée étaient encore parfaitement utilisables.
En liaison directe par radio avec Marrakech, Spillmann commença la construction du poste en même temps qu’il faisait préparer un terrain d’aviation non loin de la kasbah de Taourirt du khalifat de Si Hammadi el Glaoui, pacha de Marrakech, avec lequel il était parvenu à être en bons termes.
Dans le camp, au sommet de la colline qui dominait l’oued, on installa une batterie d'artillerie; au dessous des tentes avec les tirailleurs sénégalais, les légionnaires et les goumiers; derrière ces tentes on parqua les animaux et on ouvrit un petit marché pour les échanges commerciaux avec les autochtones…
Ce camp, au fil des années, fut évidemment construit en dur.
Les premiers objectifs du Poste de Ouarzazate étaient de protéger les convois, renseigner et rallier les tribus. Dans le cadre de l’organisation du bureau des Affaires Indigènes, le lieutenant Spillmann reçut comme adjoint, le lieutenant du Plessis de Grénédan avec qui il regroupa les hommes de la fezza du Dadès et du Todgha à Tinerhir pour appuyer le khalifat du Glaoui, fort menacé par les tribus locales, et il installa une garnison de 100 partisans à Kelaa des Mgouna.
Pendant ce temps, le lieutenant Paulin, secondé par une compagnie de sapeurs-pionniers de la Légion, poussait activement les travaux de la piste auto-cyclable (1) du col du Tichka en direction de Ouarzazate qu’il devait atteindre en décembre 1928.


(1) terme utilisé à l’époque pour indiquer la nature d’une piste susceptible d’être utilisée par des camions ou autres véhicules.