Vallée du Drâa

1931-1932. Les colonnes du Draa

Mis à jour : lundi 7 décembre 2015 11:07
Les reconnaissances aériennes de la vallée

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L’implantation du Makhzen dans le pays se consolidait rapidement grâce à l’action de Spillmann et de son équipe. L’occupation de Dadès et du Todgha n’étant plus un obstacle, il fallut enchaîner par la vallée du Haut Drâa où l’affaire était plus compliquée à cause du peu de renseignements disponibles et des cartes imprécises, en dehors de l’itinéraire de de Foucauld établi en 1884.
Le général Huré mit alors à disposition deux avions Bréguet 14 de la 5ème escadrille du 37ème régiment d’Aviation, aux ordres du capitaine Roy et avec pour base le terrain de Taourirt où des alvéoles en pisé avaient été aménagées pour protéger les appareils du vent parfois violent. Des spécialistes du développement des photos aériennes s’installèrent au poste. Le capitaine-aviateur Pierre Pennès, ancien officier des A.I., technicien averti des relevés aériens, qui avait dressé la carte du Rif pendant la guerre, compléta l’équipe.
Quotidiennement les deux avions effectuèrent des vols de reconnaissance puis des prises de vues aériennes, à 5000 mètres d’altitude, sur toute la vallée. Sitôt les clichés et les films développés, des équipes d’informateurs indigènes commençaient l’identification des agglomérations, des tours de guet, des marabouts, des canaux d’irrigation, des jebels, des collines et autres caractéristiques du terrain, des affluents du Drâa, etc.

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Chaque identification était remise en question par d’autres équipes d’informateurs jusqu’à ce que Pennès et Spillmann aient la certitude que toute cause d’erreur avait été éliminée. Dès la fin de 1928, le bureau disposait alors d’une carte précise et claire de la vallée du Haut Drâa et de ses abords immédiats en même temps qu’une fiche détaillée sur chaque agglomération, mentionnant tous les renseignements nécessaires sur ses origines, son passé, sa population, ses notables, son armement, ses alliances, ses inimitiés, ses ressources et les influences religieuses qui s’y exerçaient.
En 1929, Pennès et Spillmann publièrent le résultat de leurs travaux sous le titre Les Pays inaccessibles du haut Drâa. En 1931, Spillmann faisait paraître un ouvrage plus complet : Districts et tribus de la Haute vallée du Drâa.
Spillmann participait souvent à des vols de reconnaissance avec le capitaine Roy ou avec le célèbre et populaire Pelletier d’Oisy. Par la même occasion il participa au premier atterrissage sur le nouveau terrain de kelaa des Mgouna.
Le problème de Spillmann, toujours simple lieutenant (l’avancement n’était guerre rapide aux A.I.) était qu’il ne pouvait commander des capitaines, encore moins des chefs de bataillon. Le général Huré attendit le départ du résident Steeg, qui avait remplacé le Maréchal Lyautey, pour proposer au nouveau résident, Lucien Saint, la création du territoire de Ouarzazate dont Chardon, promu lieutenant-colonel, recevrait le commandement et lui son grade de capitaine pour qu’il puisse prendre à son compte, et vu ses compétences, la pacification du Drâa.


La piste Agdz - Zagora - Mhamid

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1931. Compagnie montée assurant la sécurité

En 1932, transféré par voie ferrée de Fès à Marrakech, puis en camions jusqu’à Agdz des Mezguita, le 25ème goum s’y installe provisoirement en attendant d’être rejoint par le 20ème goum. Bivouaquant sur un piton dominant la palmeraie, trois goumiers et deux chevaux meurent, victimes de la morsure des vipères à cornes infestant le lieu. La mission dévolue aux deux goums consistait à assurer la protection des mille travailleurs construisant la piste reliant Agdz à Zagora, tout en occupant les abords de la palmeraie. Mission ingrate dans une région pauvre.
De bivouac en bivouac, de piton en piton, sous un soleil de plomb en été, le goum mit une année pour atteindre Zagora, à 100 km d’Agdz. Les goumiers, montagnards de l’Atlas, souffraient de la chaleur et ne se rengageaient pas, d’autant plus qu’aucun combat ne venait donner de l’intérêt à cette servitude et la vie était chère, loin des centres de ravitaillement. Les travaux s’arrêtèrent à quelques kilomètres de Zagora. Un léger groupe mobile du 34ème goum fut constitué pour occuper cette localité importante de la vallée du Drâa. Les autochtones ksouriens, cultivant de maigres champs et récoltant les dattes de leurs palmiers, n’eurent nulle envie de s’opposer à la pénétration du Makhzen d’autant plus que la moitié de la population était composée de harratines, descendants d’esclaves noirs.

Le combat d'Azkejour. Le 20ème et le 25ème goum, dépassant Zagora, s’installèrent en bivouac dans l’immense plaine désertique séparant le Drâa de la chaîne du Bani, à proximité du douar d’Askejour, toujours pour assurer la protection de la construction de la piste vers le Sud. Faute de pierres, une simple levée de terre protégeait le bivouac et les emplacements de combat. Un vent violent, soulevant une épaisse poussière, soufflait les trois-quarts du temps, à telle enseigne que l’on avait creusé des trous profonds, sous les tentes, pour s’en protéger. L’eau que l’on allait quérir au puits du douar était magnésienne et provoquait des coliques nécessitant de nombreuses stations aux rudimentaires feuillets. Il n’était pas question d’avoir du vin; seule l’anisette coupée d’eau était la boisson des Européens. Cette installation précaire inquiétait les commandants de goum car, d’après les renseignements fournis par les informateurs, des groupes de dissidents nomades circulaient dans la région, razziant les troupeaux des ralliés aux pâturages. Les patrouilles montées ne pouvaient explorer la région suffisamment loin, faute d’eau pour abreuver les chevaux. Craignant la surprise, le lieutenant Gauthier faisait chaque jour renforcer les murettes de terre.
La surprise vint vers minuit, par une nuit sans lune. Un fort parti de 70 fusils, composé de nomades Aït Khebbache et d’Aït Atta du Sud, parvint à s’infiltrer jusqu’à 50 mètres du bivouac, la nature du terrain n’ayant pas permis l’installation de “sonnettes” (postes de veille en avant du dispositif). Une fusillade nourrie réveilla le goum qui prit immédiatement sa position de combat. L’engagement dura deux heures sans que la troupe ne fut débordée car la surprise n’avait pas joué. Les dissidents décrochèrent, laissant un tué à sept mètres de la murette, ayant sans doute emporté les blessés du combat. Les pertes du Makhzen furent minimes. Fait à signaler, les femmes des cavaliers, pendant le baroud, avaient harnaché les chevaux de leurs maris, pensant à une poursuite possible. Au matin, les cavaliers des deux goums ratissèrent la palmeraie, sans résultat. On apprit, par la suite, que les dissidents étaient venus du désert à chameaux, qu’ils avaient laissés à distance et les avaient utilisés pour regagner des territoires où les chevaux n’auraient pu les poursuivre.

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Un AMC de sécurité à l'aise sur le terrain

La piste étant enfin construite jusqu’à Tagounit, au-delà du Bani, le 20ème goum s’installa dans cette localité dont le lieutenant de Saint-Bon devint le chef de poste, le capitaine Spillmann étant nommé chef du cercle de Zagora; il restait 45 km de piste à construire pour atteindre Mhamid el Ghozlane. Le 25ème goum assura la sécurité et s’y installa définitivement pour édifier le poste de ce village.
Le Mhamid était la dernière palmeraie après le coude du Drâa, là où son cours se perd; si bien que seuls des puits alimentaient la région. La population, composée de Berbères, de Harratines et de Juifs y vivait chichement. La mission du goum, aidé en cela par un peloton méhariste supplétif constitué sur place, était d’intercepter les djiouch en quête de razzia et circulant dans le couloir de la basse vallée du Drâa vers l’Atlantique. Par ailleurs, sous les ordres du lieutenant de Furst, un détachement du 25ème goum participa à la liaison Mhamid-Taouz en utilisant la vallée de la Daoura particulièrement aride, au pied du massif du Kem-Kem.

1931. L'occupation du R’bat, du Tinzouline et du Ternata

 

L’occupation du Tafilalet, prévue pour le mois de janvier 1932, devait avoir pour conséquence de priver les Aït Atta et les Aït Hammou de leur grenier oriental. Ils seront donc tentés de se replier sur l’oued Draa pour y reconstruire un nouvel actif de dissidence, plus dangereux que le précédent parce que plus vaste, plus peuplé et plus riche. Le problème aura alors été déplacé, mais non résolu. Dans cette conjoncture, le commandement décida d’investir la vallée du Drâa avant que soit abordée la pacification de Tafilalet.

 

Le campement de la colonne du Drâa

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La piste du Rbat
Favorablement accueilli par les Mezguita et les Ouled Yahia, lors de la l’installation du bureau des Affaires Indigènes à la fin de 1930, le lieutenant Spillmann, chef d’Annexe, chercha d’abord à nouer des amitiés dans les districts du Sud. Il distribua des armes aux partisans et mit sur pied un service de sécurité qui s’avèra efficace; vigoureusement reçus, les djiouch Aït Atta commençèrent à subir quelques échecs et de firent plus rares.
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Visite à un ksar du Rbat

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Après l’occupation de Foum Zguid le 4 mars 1931, il devint possible d’envisager des reconnaissances plus lointaines dans la vallée du Drâa sans avoir de soucis sur le flanc droit. Spillmann mit à profil cette évolution  favorable pour effectuer, du 17  au 30 mars, une première visite chez les Aït Seddrat avec le 34ème goum.


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1931, ambulance dans le campement de la colonne du Drâa.

 

Le 18 avril 1931, le groupement du lieutenant-colonel Chardon, chef du Cercle des A.I. de Ouarzazate, de retour de Foum Zguid, fit étape chez les Aït Seddrat et poussa jusqu’au Ternata.


1931. L'occupation de Tazzarine et du Taghbalt

L’activité du Bureau d’Agdz n’était pas entièrement absorbée par la marche sur Zagora. Dès janvier 1931, l’action politique s’exerçait sur les fractions Aït Atta à l’Est du Drâa, autant pour protéger le flanc gauche de la vallée contre toute menace que pour préparer l’occupation ultérieure du Tazzarine, prélude à l’encerclement du Sagho par le Sud en liaison avec les forces des Confins.
Le lieutenant Hubschwerlin, chef du bureau d’Agdz après le capitaine Spillmann et commandant le 10ème goum, entreprend, fin septembre 1931, la construction de la piste en direction du Tazzarine, après une préparation politique soutenue.
Le Nkob, première étape de cette pénétration, est atteint sans difficulté. Mais les insoumis du Sagho commencent à s’inquiéter des préparatifs des troupes makhzen sur tout le pourtour de leur refuge. Vers le 10 octobre, on apprend que certaines djemaâs mobilisent leurs guerriers pour attaquer le chantier de la piste.
Finalement, c’est sur le Tazzarine qu’elles concentrent leurs activités : une centaine de guerriers Aït Hasso et Ilemchane y pénètrent au moment où les troupes des Confins occupent le Ferkla. Il est alors prudent de renforcer le goum d’Hubschwerlin devant cette agitation grandissante. Le 32ème goum de Tinerhir est désigné pour cette mission. Sous les ordres du lieutenant Garond, il quitte le Todgha le 25 octobre et rejoint le 10ème goum dans le Nkob après 12 jours de marche.
L’occupation, sans incident, du coude du Drâa permet bientôt de renforcer ces deux goums par hâter l’occupation du Tazzarine. Il est convenu en effet que cette opération se fera en liaison avec la progression des Confins sur Alnif, dans la haute vallée du Regg.
Le 22 novembre, le lieutenant-colonel Chardon installe son P.C. au Nkob, où se concentre son groupement. Il comprend le 10ème du lieutenant Hubschwerlin, le 32ème du lieutenant Garond, le 34ème du capitaine Spillmann et 1500 partisans. Pour éviter les forces des Aït Atta, 250 partisans du Bureau de Bou malem se rassemblent à Tagdilt, au sud de la route de Bou Malem à Imiter, et le capitaine Paulin, de Tinerhir, fait occuper le Tizi n’Boujou, entre Sagho et Ougnat, par le 36ème goum du lieutenant Beaurpère et 250 partisans.
Le 26 novembre, flanqué sur sa gauche par 500 partisans du Dadès venus par le Sagho occidental, et sur sa droite par le 34ème goum, le groupement se porte en avant en direction de Mellal. L’objectif est atteint sans incident le 27 par le 32ème goum, puis par le 10ème qui pénètre dans le Tazzarine le 28. Le même jour, le général Catroux, escorté par 500 supplétifs aux ordres du capitaine Spillmann, rencontre au Tizi n’Tazigzaout le général Giraud, escorté par la cavalerie du capitaine de Bournazel. De retour au bivouac, le général Catroux reçoit la soumission des djemaâs du Tazzarine, mais un tiers des habitants se sont réfugiés dans le Sagho.
Le 29, le capitaine Spillmann, avec un détachement léger, composé des 32ème et 34ème goums et 250 partisans, occupe le Taghbalt sans combat, mais, là aussi, une centaine de familles Aït Atta se réfugient dans le Sagho plutôt que de demander l’aman.
On procède ensuite à l’organisation du terrain occupé. Un bureau d’Affaires Indigènes est créé au Tazzarine, confié au capitaine Fignon, avec le 10ème goum, ayant une antenne au Taghbalt, avec le 49ème goum du lieutenant Monsingeon, qui était venu de Tinerhir pour relever le 32ème goum. A la même époque, un bureau des Affaires Indigènes est créé au Ktaoua, à Tagounit, aux ordres du lieutenant de Saint Bon, qui dispose du 20ème goum.
Le 25ème goum, commandé par le sous-lieutenant Sieurac, est dans le même temps désigné pour s’installer au Mhamid, où il construit son poste. Pendant plus d’un an, le 25ème goum, sous les ordres du lieutenant Petit, restera la sentinelle avancée du Sud marocain face au Sahara.
A la fin de l’année 1932, le massif du Sagho sera bien “mis en tache”, mais l’insécurité ne cessera de régner parmi les fractions récemment soumises des Aït Atta. Les irréductibles vont multiplier leurs djiouch et leurs coups de mains, aussi bien dans la région de Tazzarine que dans celle d’Alnif et des Aït Saadane. Aucune préparation politique ne sera possible et lorsque l’ordre sera donné de réduite la tache du Sagho, la Makhzen sera obligé, selon l’expression du lieutenant-colonel Chardon, “d’opérer à chaud”. Et l’affaire sera l’une des plus coûteuse de toutes les opérations de pacification.

1932. Occupation de Zagora, du Ktaoua et du Mhamid


L’occupation du Tafilalet, imminente, amène le Makhzen à hâter l’installation du poste de Zagora. Un groupement, placé sous les ordres du lieutenant-colonel Chardon, se concentre au R’bat du Tinzouline. Outre les troupes régulières, il comprend 10ème, 20ème, 25ème et 34ème goums.
Il fait mouvement le 8 janvier 1932 sur Beni Zouli, bivouaque le 9 à Bou Zergane et atteint sans incident Zagora le 10. Toutes les djemaas du Ternata et du Fezzouata font leur soumission officielle devant le général Catroux et le Pacha Si el Hadj Thami el Glaoui, venus le jour même en avion. Depuis le début de l’année, plus de 16.000 feux, représentant environ 80.000 âmes sont rentrées sous l’obédience du Makhzen, sans aucune pertes enregistrées dans les troupes.

 

1931. L'artillerie d'Afrique (R.A.A.) à l'oeuvre
au cours des colonnes du Drâa

1931.Artilleurs_dAfrique
Casse-croute d'Artilleurs d'Afrique près de leur camion

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La capitaine Granjeon et le lieutenant Chamson


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Les adieux du capitaine Granjeon


Le foum Anagam et l’investissement du Ktaoua


Au début de 1932, le Makhzen décide d’occuper les Ktaoua et d’en chasser les Aït Khebbache refluant vers le Drâa depuis l’occupation du Tafilalet. Dans la nuit du 11 au 12 juin 1932, l’importante position du Foum Anagam (30°07,22’N - 05°37,82’W), qui commande la route du Ktaoua à travers le jebel Bani, est occupée. L’opération menée par trois cents partisans, soutenus par les 20, 25 et 34ème goums marocains, réussit parfaitement sans combat ni perte. Pour se couvrir sur sa gauche, la colonne s’est protégée par un important groupe de partisans chargés de traverser le Bani par le Foum Takkat (30°08,90’N - 05°30,40’W), de contourner le district en le traversant du Nord au Sud, et de contacter les ksouriens afin qu’ils se trouvent prêts, à Hadeb Lihoudi lors du passage de la colonne, pour leur “Targuiba” de soumission. Le sous-lieutenant Bahloul, un Marocain qui commande la troupe, remarque qu’au moment de franchir le Foum Takkat aux environs du tombeau de Dadda Atta (30°08,90’N - 05°30,40’W), un marabout célèbre, les partisans Aït Atta refusent de s’engager. Ils se réfèrent à un oracle local qui prédit que le jour où l’étranger foulera la terre de Takkat, le lieu sacré où repose Dadda Atta, la terre tremblera, les montagnes se renverseront et cracheront des torrents de feu, produisant un cataclysme auquel nul ne survivra. Bahloul, étranger à la région, est donc dans l’obligation de prendre la tête de la colonne avec son escorte de mokhaznis pour aller demander la permission à Dadda Atta. Arrivé sur place, il met pied à terre, se déchausse, baise respectueusement le tas de grosses pierres du tombeau, fait une brève prière et se remet à cheval. Aucune pierre n’ayant bougé, aucun grondement ne troublant le silence des lieux, il considère que la colonne a obtenu du marabout le droit de passage à la grande joie des partisans qui défilent devant lui. Entre-temps, à Foum Anagam, un détachement entreprend, malgré des difficultés considérables, la construction de deux tours de garde tenant sous leur feu le défilé; une troisième tour est édifiée à l’entrée nord du Foum Takkat n’Ilektaout (30°10,52’N - 05°31,65’W), et les travaux de franchissement du Bani par une piste débutent (itinéraire de la route actuelle). Aucune source n’existant à proximité de l’Anagam, l’eau nécessaire au détachement et aux travaux de construction doit être apportée par camion citerne d’Askejour, à 15 km de là. Il faut ensuite, en attendant l’aménagement d’un sentier muletier, la transporter à dos d’homme, dans des outres, du terminus de la piste au camp (270 mètres de dénivelé).

Le 11 août 1932, 30 djicheurs Aït Khebbache et Aït Hasso tendent une embuscade aux mokhaznis de l’Anagam, en tuent six et s’emparent de leurs fusils. Le commandant de l’annexe du Drâa annonce alors aux Aït Hasso du Ktaoua, qu’il les tient responsables et les traitera en conséquence. Plusieurs caravanes Aït Hasso et Beni Mhammed sont arrêtées par les forces supplétives. L’accès des souks du Makhzen est interdit aux dissidents. Les garnisons de Foum Takkat n’Ilektaout et de l’Anagam, sont renforcées. Le notable Aït Hasso Mohamed ou Lahousseine, appréhendé dans son ksar d’Askejour du Fezouata, est placé en résidence surveillée chez le khalifat Si Mohamed bel Fatmi au Tinzouline. Cent fusils à tir rapide sont remis aux partisans du Lektaoua. Le parti adverse tente tout d’abord de plastronner en déclarant la guerre aux tribus soumises et menace les postes. Soutenues, les tribus makhzen reprennent l’offensive, infligeant à leur tour des échecs retentissants aux Aït Khebbache et aux Aït Hasso qui évacuent alors le Lektaoua avec leur butin.
Le 8 septembre, les travaux de franchissement du Bani, à hauteur de l’Anagam, sont terminés. Un peloton d’AMC (auto mitrailleuse de combat), appuyé par cent vingt goumiers et mokhaznis à cheval, débouche dans la cuvette du Ktaoua, s’approche de la palmeraie et fait liaison avec les Aït Isfoul.
Les Aït Khebbache, laissant une garnison de 70 fusils à Beni Sbih, se replient sur le Mhamid où il est difficile d’intervenir efficacement.
Le 6 octobre, les Aït Khebbache, demeurés à Beni Sbih, subissent un nouvel échec. Leur chef, le vieil irréductible Mohamed ou Bani, trouve la mort au cours d’une escarmouche, son corps restant aux mains des partisans du Makhzen.
C’est dans ces conjonctures favorables, dues à l’action politique et à l’activité des forces supplétives, goums, mokhaznis, miliciens et partisans, que le groupe mobile de Marrakech commence sa concentration à Zagora au début de novembre 1932.
Le 6 novembre, le lieutenant-colonel Chardon, commandant le territoire du Ouarzazate et chef de l’annexe du Drâa, poussent une reconnaissance dans la cuvette du Ktaoua, escorté par deux pelotons d’AMC et par l’infanterie du 34ème goum, portée sur camionnettes. Afin d’empêcher un retour des insoumis, des partisans et des mokhaznis sont laissés à Beni Sbih où a été étudié l’emplacement d’un futur poste. Dans la nuit du 11 au 12 novembre 1932, le groupe mobile concentré à l’Anagam occupe sans incident et définitivement toute la région du Ktaoua.

Novembre 1932, la soumission du Moyen Drâa

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Le 13 novembre 1932, le lieutenant-colonel Chardon, commandant le groupe mobile de Marrakech qui vient d’investir le Ktaoua, effectue avec les forces supplétives une reconnaissance jusqu’à la lisière nord de la palmeraie de Mhamid où, en présence d’aucune réaction, il pénètre avec 400 partisans et les 20 et 34ème Goum.
Le 15, le groupe mobile s’installe à Hadeb el Youndi, au cœur du district, où la construction d’un poste est immédiatement commencée. Un bureau des Affaires Indigènes est créé à Tagounit. Son premier chef est le lieutenant de Saint-Bon, d’abord adjoint au Bureau d’Agdz, puis ensuite au Bureau de l’annexe du Drâa, à Zagora, qui a pris une large part à la pacification de la région.
Un poste d’A.I., dépendant du Bureau du Ktaoua, est créé à Habed el Youdi du Mhamid. Son chef est le lieutenant Petit, qui trouvera la mort en 1934 dans l’Anti-Atlas, dans les derniers mois de la pacification. Le 25ème goum et une compagnie de Légion occupent le poste.
Le même jour, 15 novembre 1932, le général Catroux, commandant la région, reçoit la soumission officielle des gens du Ktaoua et le 17 novembre celle des djemaâs du Mhamid. 4700 tentes ou familles soit environ 23.500 âmes rentrent ainsi dans l’obédience du Makhzen, portant à plus de 100.000 le chiffre total des soumissions effectives obtenues depuis le début de 1931. En regard de ce bilan impressionnant, les pertes du Makhzen sont de six mokhaznis et un goumier tués et d’un sous-officier français, un mokhazni et trois goumiers blessés. Mais si l’occupation du coude du Drâa achève la pacification des districts de cette vallée et prélude à celle totale du pays Aït Atta, les Aït Khebbache ont échappé une fois de plus à l’étreinte du Makhzen. Poursuivis sur la hammada du Drâa par la compagnie saharienne de la Saoura qui leur enlève 800 moutons et fait quelques prisonniers, accrochés vers la même époque par les partisans du Zguid qui leur prennent un impressionnant troupeau de 430 chameaux, ils réussissent à se regrouper presque tous dans la basse vallée du Drâa à hauteur du méridien d’Akka. Ils ne feront leur soumission qu’en mars 1934, quand les troupes du général Catroux et du général Giraud termineront la pacification du Maroc après avoir occupé l’Anti-Atlas occidental.


Zagora, Spillmann et le jebel Sagho

A Zagora, le capitaine Spillmann disposait auprès de lui du médecin-capitaine Vaudin qui soignait avec dévouement les Marocains qui se présentaient à lui; Caboy, lieutenant-interprète, et le sous-lieutenant Bel Madani, fils d’un notable de Marrakech, qui rendit de précieux services par les contacts amicaux entretenus avec les chefs marocains et par l’autorité avec laquelle il animait ses partisans, toujours excellents guerriers. Il avait sur place le 34ème Goum commandé par le lieutenant Sieurac qui trouvera une mort glorieuse au Sagho en entraînant cette unité à l’assaut du Bou Gafer.

Pacifier était nécessaire mais insuffisant, il fallait également venir en aide aux populations éprouvées par plus de vingt ans d’anarchie, de guerres fratricides et de pillage par les nomades. La lutte contre la famine était prioritaire; le plus important était d’améliorer l’hydraulique de la région victime de la sécheresse depuis plusieurs années. Dans ce but, des barrages en gabions furent construits pour régulariser le cours du Drâa. Pour la première fois, des crues artificielles furent organisées pour permettre l’irrigation des palmeraies d’aval, Ktaoua et Mhamid en particulier, en fermant les séguias des districts d’amont où l’eau était utilisée sans retenue.
Début 1933, les forces Makhzen entreprennent et réussissent, après de nombreuses semaines d’âpres combats, la pacification du Sagho. Face aux derniers dissidents berbères, farouches et valeureux guerriers, de nombreux jeunes officiers de valeur perdront la vie. Spillmann est chargé, à la tête de la harka du Drâa, de nettoyer la partie Sud du Sagho.

 

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Tous les officiers et sous-officiers français de sa circonscription demandent à l’accompagner pour encadrer les 1400 partisans, dont certains récemment soumis, volontaires pour ce baroud que l’on sait être l’un des derniers de la pacification.

Au cours de ces très durs combats, grâce à des mesures judicieuses, à une observation attentive du terrain et aux renseignements recueillis, Spillmann parvient à coiffer tous ses objectifs avec le minimum de pertes, malgré une résistance opiniâtre de l’adversaire dans un jebel particulièrement difficile.

Quelque mois après la réduction du Sagho, l’annexe de Zagora est transformée en cercle avec le commandant Mansuy à sa tête. Le capitaine Spillmann est alors muté à la direction des Affaires politiques du Protectorat à Rabat. Tous, Français et Marocains, le voient partir avec un vif regret. Il a su conquérir le cœur des uns et des autres, ayant mis dans son œuvre cette “parcelle d’amour du Maroc” dont parlait Lyautey. Grâce à ses brillantes qualités intellectuelles, à sa ténacité et sa rapidité dans l’exécution, il a réussi, en une trentaine de mois, à pacifier la vallée du Drâa, de Agdz à Mhamid, et à ébaucher sa mise en valeur. Il n’y a pas si longtemps, les vieux Draouas évoquaient encore avec estime le souvenir du capitaine “Silman”.

Certaines illustrations présentées avec un texte sont extraites de l'ouvrage du général Georges Spillmann : Souvenirs d’un colonialiste. Presses de la Cité 1968

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Je recherche des personnes ayant eu quelqu’un de leur famille en poste à Ouarzazate ou dans son “territoire”, autant militaire que civil. Si elles veulent témoigner, ce site est à leur disposition. Textes et photos seront les bienvenus. Évidemment votre participation passera sous votre nom.
Merci pour votre attention. Jacques Gandini.