Colonnes de pacification

Asso ou Baslam

Mis à jour : lundi 4 avril 2016 15:11
L'homme qui a écrit l'une des pages indélébiles
de l'histoire d'un Maroc libre

Source : texte de Mustapha Elouizi, http://tinghir.ma
Historique et mémorable, tels sont les adjectifs qualifiant la poignée de main entre le résistant Asso ou Baslam et le général Huré. Ce face-à-face qui eut lieu le 25 mars 1933 à Ikniouen (80 km de Tinerhir) suivit la bataille de Bou Gafer que se sont livrée les Aït Atta et l'armée française forte de plus de 80.000 soldats.
Grâce à sa sagesse et son intelligence politique instinctive, l'Amghar comprit que la négociation que demandait Huré, avait le goût d'une victoire. Le capitaine Henri de Bournazel étant blessé puis décédé, l'Etat Major français ne pouvait plus se permettre de s'embourber dans une aventure imprévisible.
Entouré des siens, le héros du Sagho tenait encore son fusil artisanal dans sa main gauche. Son regard vif dénotait une force de caractère. Dans la pure tradition des grands guerriers, Ou Baslam qui ne courba pas l'échine, resta le dos bien droit. Le général Huré, lui, exécuta un salut militaire digne des grandes personnalités, avant de tendre sa main à son ennemi juré.
Outre l'analyse sémiotique de la photo historique montrant les deux hommes, l'historien français Henri Bordeaux avait qualifié Asso Ou Baslam “d'homme au beau visage grave, au corps maigre et musclé, impassible et indifférent d'apparence, mais fier et plein de dignité, et qui imposait la confiance."
David Hart, lui, évoquera sa personnalité dans un condensé lourd de sens: "ce très remarquable homme". Redescendu du Sagho où il était entré en dissidence quarante jours auparavant, il n'était jamais aussi libre et fier de son appartenance.
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Asso Ou Baslam, de son vrai nom Issa Ou Ali n'Aït Baslam, dirigea ses troupes de manière charismatique. A quarante ans environ, l'homme faisait déjà l'unanimité.
Asso, qui rappela aux stratèges coloniaux français la bravoure inégale d'un Abdelkerim El Khattabi et sa célèbre bataille d'Anoual onze ans auparavant, voulait épargner un carnage aux siens. Pas question de donner l'occasion aux 44 avions de guerre et à la lourde artillerie de commettre le pire.
Les salons français, eux, parlaient d'un échec. Dans leurs cahiers intimes, les officiers français, comme les historiens, avouaient la dureté des guerriers d'Aït Atta. Depuis le Sagho, mont dans lequel ils s'étaient retranchés, ils étaient en train d'écrire une page indélébile de l'histoire d'un Maroc libre. L'histoire gardera aussi le rôle des femmes dans cette bataille.
Le médecin Major Vial racontera comment les femmes amazigh "veillaient à orienter les guerriers égarés, à soigner les blessés et à marquer les déserteurs". Leur courage les a même poussées à refuser en pleurs d'arrêter la bataille et d'appeler Asso à poursuivre les combats.
Sur le terrain, le manque d'effectifs et de matériel fut intelligemment remplacé par un sens de l'organisation et une parfaite mise à profit des données géographiques. Le tout est bien évidemment mêlé à un patriotisme intact.
Plus l'étau se resserrait autour des résistants, plus leur courage s'accentuait. Rares ceux qui surent à l'époque que la bataille de Bou Gafer eut une influence sur la stratégie coloniale dans son ensemble.
A elle seule, la mort de Bournazel disait tout. Celui qui prenait toujours sa position au devant des troupes, allait être l'objet d'un "baroud d'honneur" du haut d'une grotte.
Envoûté des récents triomphes au Tafilalet, ce capitaine français de 36 ans, dit le "Diable rouge", allusion faite à sa tunique rouge habituelle, avait certainement raté, lors de sa formation, la consigne de mise à profit de la géographie, mais aussi de ne pas sous-estimer l'ennemi à cause juste.
Imprévisible, le bilan global de la bataille fut surprenant. Avec toute l'armada des Français, les pertes parmi les combattants étaient de l'ordre de 1300 personnes dont beaucoup de femmes et d'enfants, alors que l'ennemi avait perdu 3500 militaires dont 10 officiers.
Conforté par les écrits des généraux et officiers français ayant assisté à cette bataille, et fort d'un hommage que lui a rendu feu Mohamed V, après l'indépendance du pays, Asso Ou Baslam entra dans les annales de l'histoire marocaine contemporaine.
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Le général Giraud, de dos, parlant avec Asso ou Baslam

Une vie de chef
Asso ou Baslam naquit en 1890 dans les montagnes du jebel Saghro, au sein de la grande tribu berbère des Aït Atta. Son père, Ali ou Baslam, s'était sédentarisé et il était devenu le chef de son clan, Amghar n’Tmazirt, des Illushan. Dès sa jeunesse, Asso se signala par son intelligence et son sérieux, ainsi que son habilité à faire du commerce. C'est donc tout naturellement qu'il devint à son tour amghar, en 1919 ou quelques temps après. Il était hostile à la présence des Français au Maroc et, en prévision d'une guerre contre eux, il acquit, en contrebande, un stock important d'armes à feu. Les hommes du maréchal Lyautey n'avaient pas encore fait mains basse sur le pays Atta mais ils disposaient d'agent locaux qui leur étaient dévoués, tel Hadj Thami el Glaoui, un des grands caïds de l'Atlas occidental.
En 1919, celui-ci avait même mené une campagne dans la vallée de Todgha pour intimider les Aït Atta et, en 1920, sur l'injonction des Français, il entreprit une opération de pacification. Il soumit une partie du pays Atta et il nomma un de ses alliés chef des populations vaincues. Son autorité devait s'étendre plus tard sur d'autres régions du Maroc, mais il demeura partout d'importantes poches de résistance aux Français et au Glaoui.
Asso fut du nombre des premiers résistants et quand la plupart des clans voisins firent soumission, il continua seul la lutte, faisant de sa place forte, Taghiya n Illusham, une citadelle de la résistance et un point de ralliement des Berbères hostiles à la conquête colonial. Ces mêmes Berbères devaient l'élire, en 1932, Amghar n’Ufella, chef suprême, et le chargèrent de diriger la lutte. Du jebel Saghro, Asso et ses hommes harcelèrent les fidèles du Glaoui qui, ne pouvant les déloger, appelèrent les Français à l'aide.
Ceux-ci réunirent une forte armée et décidèrent d'en finir avec la résistance des Aït Atta. Le 21 février 1933, deux colonnes partirent à l'assaut du massif du Bou Gafer : l'une, partie de l'Est, était commandée par le général Giraud, l'autre, partie de l'Ouest, était sous la responsabilité du général Catroux. Avant d'engager la bataille, les deux officies proposèrent à Asso de se rendre. Il refusa et la guerre commença.
Les troupes françaises, grossies des forcer berbères fournies par les clans soumis, étaient estimées à 82.000 hommes avec, en plus, une escadrille de quarante quatre avions, partie de Ouarzazate. Les troupe de Asso, elles, ne réunissaient que 12.000 guerriers, auxquels se joignirent des centaines de femmes et d'enfants, ce qui faisait un total de 70.000 personnes. Les premiers assauts de l'ennemi furent repoussés avec succès. Dès que les Français et leurs alliés arrivaient à la portée des fusils, les Aït Atta tiraient. Les femmes et les enfants les accueillaient, eux, par une volée de pierres qui faisaient autant de victimes que les balles. Mais les troupe françaises, soutenues par l'aviation, parvinrent à soumettre les résistants à un tir d'artillerie ininterrompu. Des appels à la reddition furent lancés par les officiers français mais Asso les rejeta.
La résistance de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants, qui se savaient pourtant perdus, força l'admiration des Français et le général Spillmann, dans ses mémoires, éprouva des scrupules à mettre en pièce ces résistants qui préféraient mourir plutôt que de se rendre. Asso, pour éviter à son peuple l'extermination, finit par accepter le principe de la négociation. Le 25 mars, il descendit de la montagne avec ses hommes et déposa les armes. Il était prêt à arrêter la guerre si les Français acceptaient ses conditions. Le général Huré qui avait assisté à la scène, exprima, dans ses souvenirs, son admiration pour Asso et ses hommes qui, même dans la défaite, restaient dignes et fiers.
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Asso exigea que l'autorité du Glaoui, acquis aux Français, ne s'étende pas au Saghro et il obtint l’assurance que le droit coutumier des Aït Atta (en berbère azref) serait observé. L’attachement au droit coutumier berbère n'empêchait pas Asso d'être un bon musulman et même un homme religieux. Il avait une telle influence sur ses hommes que les Français, pour éviter qu'il reprenne les armes contre eux, acceptèrent ses conditions. Ils le nommèrent alors officiellement chef de son clan et plus tard, il assuma des charges de magistrat au sein de la cour d'appel d’Ighrem Amazdar.
En 1939, Asso fut nommé également caïd et garda cette fonction jusqu'à sa mort. En effet, après l'indépendance du Maroc, en 1956, il fut confirmé dans ses fonctions alors que les caïds, qui s'étaient compromis avec l'administration colonial, avaient été relevés de leurs fonctions. Asso s'insurgea contre la suppression du droit coutumier berbère par les autorités marocaines et continua à l'appliquer dans sa régions. L'administration, craignant qu'il ne se révolte, ferma les yeux sur ses agissements. Le 16 avril 1960, il succomba à la maladie. Il fut inhumé dans son village natal de Taghiya. Son fils aîné, Ali n’el hadj, fut nommé caïd, à la demande des Aït Atta et garda la charge jusqu'à sa retraite en 1974, son propre fils lui succéda.
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Asso ou Baslam et le lieutenant Bel Madani à Tinerhir
Source : Bel Madani, Colonel :
Coupable de fidélité. Heurs et malheur de l’amitié franco-marocaine, NEL 1990


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